jeudi 22 décembre 2022

Fonctions psychologiques (8) - Facteurs endopsychiques

Après une approche approfondie des fonctions psychologiques (voir ici), nous avons constaté à plusieurs reprises l'interpénétration des "mondes psychiques" (conscience et inconscient) et la difficulté de séparer chaque "instance" des autres. Ainsi, avons nous vu que la fonction intuition établit un pont entre monde interne et externe, ouvre une fenêtre du présent vers le futur (voir ici ). Au-delà des fonctions permettant l'orientation du sujet dans le monde "objet", qualifié par Jung de monde exopsychique, il introduit la notion de monde endopsychique, comme le système de relations entre les contenus de la conscience et les processus de l'inconscient. Il va recenser un certains nombres de fonctions, qu'il préférera appeler plus tard facteurs. Comme la majorité de ses concepts établie sur la base empirique, leur contour et nature évolueront au fil de ses recherches.

Pour être précis, les fonctions endopsychiques sont au-dessous du seuil de conscience mais, à l'instar de la fonction intuition, "gravitent dans sa frange". Nous allons les aborder par "profondeur croissante". (notez les nombreuses parenthèses qui traduisent la difficulté à ajuster la précision du vocabulaire sur un concept intrinsèquement "insaisissable").


Première fonction : la mémoire 
 
C'est notre capacité à réactiver des contenus qui étaient passés dans l'inconscient.
Si l'on accepte la définition de base de l'inconscient, il ne faut alors pas perdre à l'esprit que tous ces souvenirs stockés que l'on peut retrouver avec plus ou moins de facilité (donc ramener vers la conscience) sont naturellement "stockés" au sein de notre inconscient personnel.
La mémoire apparaît comme l'outil excavateur qui ramène à la surface.
Cette faculté possède la capacité d'être contrôlée dans une certaine mesure par la volonté (on peut améliorer ses capacités mémorielles).

Deuxième fonction : composantes subjectives 
des fonctions conscientes 
 
Nous sommes ici sur le "versant nord de la psyché"...ces composantes seraient d'ailleurs en étroite relation avec l'ombre de l'individu, archétype (voir ici ) fondamental dans l'enjeu de la croissance psychique.
Ces composantes répondent à notre nature profonde, donc subjective, sous son aspect le moins développé voire refoulé de chacun. Lorsqu'une fonction psychologique est "activée", le résultat est immédiat et systématiquement accompagné d'une réaction que l'on cherche à faire taire.
Imaginons que nous rencontrons quelqu'un pour la première fois. Après quelques échanges, la fonction sentiment va évaluer la "valeur" que j'accorde à l'inconnu....il semble gentil, aimable...et simultanément, viendra la conviction ressentie qu'une gentillesse ostentatoire révèle forcément une grande fausseté ou hypocrisie. Cette pensée, je la garde pour moi afin de rester dans les bonnes conventions sociales...et finalement passer moi aussi pour un "aimable personnage". Exemple caricatural mais qui révèle la composante subjective d'une fonction en action.
Identifier ces composantes et tenter d'en retrouver leur source est d'ailleurs une étape cruciale (et ô combien délicate car nous ne voulons surtout pas rayer la patine de notre persona).



Troisième fonction : émotion et affect 
 
L'étymologie du mot "émotion" vient du latin motio = mouvement, et du préfixe e = qui vient de.
C'est en effet un mouvement interne qui nous submerge, prend provisoirement les commandes, et puis s'en va. Si on peut sentir son arrivée, il est excessivement difficile de la contrôler. 
L'affect est l'état conscient qui se révèle dans l'émotion, la sensation, le sentiment, l'humeur.
D'après Jung, les émotions prennent racine dans l'inconscient comme les affects en général mais qui témoignent, eux, du caractère refoulé. 
A ce sujet, il écrit dans L'homme et ses symboles :
...Et la faculté de dominer nos émotions, qui peut nous paraître désirable d'un certain point de vue, serait par ailleurs une qualité de valeur contestable, car elle enlèverait aux relations humaines toute variété, toute couleur, toute chaleur et tout charme... L'affect est enraciné encore plus en profondeur car il est l'expression d'un complexe (voir inconscient personnel )

Quatrième fonction : l'irruption 
 
Dans ce cas, la conscience est quasiment en veille et les contenus inconscient ont l'ascendant pour un temps. C'est d'une nature proche de l'affect et de l'émotion mais la charge de libido est nettement plus élevée...l'individu prit par l'irruption peut être saisi de lubies, d'apathie, de fantasmes éveillés.
On dira "il n'est plus lui-même" ou "il traverse une drôle de phase".
C'est un phénomène provisoire et rare chez l'individu "normal" mais symptomatique chez le névrosé.

Au-delà de l'irruption, nous sommes dans l'inconscient et ne pouvons donc rien en dire.

Jung a peu traité directement ces fonctions/facteurs hormis dans ces conférences et correspondances (voir en particulier Les conférences de Tavistock).


Sommaire "Fonctions psychologiques" (Cliquer pour y parvenir)
3 - Schémas
7 - La fonction intuition

dimanche 20 novembre 2022

Oublier des vérités...pour en découvrir d'autres

 

Ce qu'il y a de plus difficile - et de plus nécessaire - lorsque l'on aborde l'étude d'une pensée qui n'est plus la nôtre, c'est - comme l'a admirablement montré un historien - moins d'apprendre ce que l'on ne sait pas, et ce que savait le penseur en question, que d'oublier ce que nous savons ou croyons savoir. Il est parfois, ajouterons-nous, nécessaire non seulement d'oublier d'oublier des vérités qui sont devenues parties intégrantes de notre pensée, mais même d'adopter certains modes, certains catégories de raisonnement ou du moins certains principes métaphysiques qui, pour pour les gens d'une époque passée, étaient d'aussi valables et d'aussi sûres bases de raisonnement et de recherche que le sont pour nous les principes de la physique mathématique et les données de l'astronomie.

Alexandre Koyré - Paracelse 1933

vendredi 14 octobre 2022

Le fini ne saisira jamais l'infini...

Hermaphrodite alchimique

Chaque fait psychologique est un phénomène vivant pris indissolublement dans la continuité du processus vital, de sorte qu'il est toujours un devenu et un devenir, un devenir qui va être lui-même créateur. Tel Janus aux deux visages, le moment psychologique regarde en arrière et en avant en se réalisant, il prépare ce qui sera...
L'âme renferme autant d'énigmes que le monde avec ses systèmes galactiques, devant le sublime spectacle desquels seul un esprit sans imagination peut ne pas s'avouer son insuffisance. Devant cette extrême incertitude de la pensée humaine, les prétentions au savoir sont non seulement ridicules, mais aussi tristement dépourvues d'esprit...
L'âme, reflet du monde et de l'homme, est d'une telle diversité, d'une telle complexité qu'on peut la considérer et la juger sous des angles infiniment variés. Il en est de la psyché exactement comme du monde : une systémati­que du monde reste en dehors du pouvoir humain [...] 
Le fini ne saisira jamais l'infini...

C.G. JUNG - L'âme et la vie

Janus, Dieu romain



jeudi 29 septembre 2022

Kénose et individuation

Du Grec κένωσις que l'on pourrait traduire par l'idée du dépouillement, de l'abaissement délibéré, la kénose est un terme employé dans la théologie chrétienne. 
Il désigne notamment ce processus selon lequel Dieu abandonne son attribut de perfection (et d'unité pleine, se suffisant à elle-même) pour se manifester dans un corps de chair auprès des hommes, à travers le Christ. Scandale, crieront certains, ultime aboutissement, affirmerons d'autres.
Le Christ Jésus ayant la condition de Dieu ne retient pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur. (Ph 2,6-7)

Une question, tenant à la théologie, peut s'imposer. En perdant sa gloire, Dieu est il encore Dieu ? A chacun d'y répondre mais force est de constater que, pour les chrétiens, l'incarnation en Christ constitue le chemin vers Dieu, nourrissant dans cet élan potentiel sa gloire...

je suis le chemin, et la vérité, et la vie... (Jean 14:6  )

Quel lien avec l'individuation ?

Il nous faut en revenir aux "fondamentaux" de la pensée jungienne. L'individuation, en représentation visuelle, semble s'approcher d'une "spirale descendante rétrécie", partant des ténèbres de l'indifférenciation (inconscient dominant) à une série de cycle de régression/progression (voir ici) portant vers "un chemin de plus en plus exigeant et étroit" replaçant toutes les instances psychiques à leur juste place (règne de la conscience éclairée et éclairante)...pour, peut-être, toucher au monde numineux de l'archétype, frontière où l'immanent humain touche à ce qui s'apparente à la transcendance.

Dans ce processus, se niche le sacrifice (au sens étymologique, sacrificare, "faire sacré"). Il s'agit bien d'un renoncement, conscient mais pas toujours volontaire, la nuance est importante, qui porte à la mort l'ancien pour le renouvellement et l'espérance d'un nouveau...

L’équilibre (ou plutôt le rééquilibrage) de la personnalité auquel le processus d’individuation nous donne accès par la mise en tension des opposés n’est jamais un « juste milieu » mais presque toujours un abaissement. Ainsi, lorsque advient le « troisième » (par exemple la fonction dite inférieure, voir ici), ou tout du moins lorsque les valeurs de l’ombre qu’il représente commencent à être reconnues, admises par le moi, les idéaux, qui sont toujours des valeurs « hautes », s’effondrent, perdent de leur prestige ; la personnalité s’alourdit et se matérialise, et ne découvre qu’avec le temps et à travers ce qu'il conviendra d'appeler une forme directe ou indirecte de dépression, le sens paradoxal (unissant contrainte et liberté, limitation et gain d’espace) de cet enracinement dans la terre et le corps.

La voie de l’individuation ouvre les portes de la liberté vraie, celle qui consiste en l’adhésion sereine –fût-elle douloureuse parfois- à un ordre dépassant l’homme, grâce auquel il se sent à sa place dans un univers doté de sens. Je songe alors à l’abandon chrétien qui trouve son apogée dans la kénose.

La kénose. 

L’abandon. 

Dans cette solitude radicale, absolue, dans cette nuit, ‘descend’ le mystère.



samedi 24 septembre 2022

Jung à la télé


Voici plus de 7 ans, je vous avais proposé un documentaire des années 80, axé autour de l'interview de Jung en 1959 par Freeman (retrouver ici). Souhaitant le regarder à nouveau, j'ai réalisé que le contenu de l'interview était difficile à bien appréhender tant les apports et commentaires extérieurs du documentaire, bien qu'enrichissants en soi, perturbaient le suivi du fil.

Aussi, pour ceux qui souhaitent regarder l'intégralité de cette fameuse (et unique dans son genre) interview de Jung, je mets ici à disposition les liens et les vidéos avec un sous-titrage français.

Connaissant très bien cet interview, j'apprécie de le visionner régulièrement car j'ai le sentiment de découvrir une nouveauté à chaque fois (phrase qui m'avait échappé, expression particulière du visage, etc)...cette fois, j'ai été frappé par un élément pourtant flagrant : la grande disponibilité de Jung. 
On sent une attention soutenue aux paroles de celui qui l'interviewe, un effort sincère et profond pour atteindre la réponse la plus juste et précise...finalement, une grande qualité de présence comme ne peuvent posséder que les "vieilles âmes".

Bon visionnage.



jeudi 15 septembre 2022

Dialogues avec l'ange

On s'interrogera peut-être sur la présence d'un tel sujet sur ce blog....la réponse réside dans cette interview d'une heure de Gitta Mallasz (1907-1992).
Pour les impatients, le sujet crucial est abordé autour de la 15e minute.
4 jeune hongrois juifs, 3 femmes et un homme, dans un pays envahi par la nazisme, reçoivent soudainement, chaque semaine, une parole qui "n'est pas 'eux", une communication avec le sacré qui impose vérité, authenticité, déploiement de l'être...
Gitta, seule survivante de la guerre, se posera non pas comme auteur mais comme "scribe" de la parole de l'ange...
J'ai lu cet ouvrage 20 ans auparavant en étant saisi par la profondeur (et donc la difficulté parfois de la lecture) mais sans en toucher le sens profond ou, objectif manifeste de cet écrit, en tirer un enseignement pour "vivre la mission que la vie nous propose".
Gitta, en avant-propos du livre, précise que toute interprétation, toute conférence faite au nom de l'ange qui ne soit pas animé par elle, le serait sans son consentement...en lisant le livre, on comprend que ce n'est pas un caprice d'orgueil, mais bien l'exigence d'un esprit qui discerne et combat la confusion.
20 ans plus tard, la vie m'impose de lire à nouveau ce témoignage.



dimanche 11 septembre 2022

Archétype (11) L'anima chez Jung - James Hillman - Partie 3





Nous voici dans le troisième volet de ce très riche essai de Hillman sur l'anima. 
Lui-même écrit que le sujet ne pourra jamais être épuisé tant il évolue au rythme de la croissance humaine. 
Nous avions terminé la précédente évocation par un constat troublant, réalisé par Jung lui-même, "C'est la vie derrière la conscience...dont la conscience est issue".

Voyons maintenant d'autres facettes au moins aussi "inattendues".

6- Anima et dépersonnalisation

Le sentiment d'identité personnelle ne viendrait pas du moi mais serait donné au moi par l'anima.
La perte, provisoire, de ce sentiment est la dépersonnalisation et peut intervenir dans de nombreux cas, selon des états "toxiques" ou non.
C'est le sentiment étrange de tomber dans un fonctionnement "mécanique", d'être spectateur de sa vie, de ne plus percevoir la réalité du monde.
A distinguer de la dépression qui est une inhibition des fonctions vitales, ici nous sommes dans la perte d'implication et d'attachement à soi-même et au monde.
Un exemple fréquent est l'état d'apathie profond suite à une forte déception amoureuse...exemple pas réellement anodin puisque cet état serait lié à une "perte de lien avec l'Anima".
A ce stade de réflexion, l'anima est la force générique qui anime l'âme.
On pourrait la rapprocher du daïmon grec ou du ba égyptien.

7- Intégration de l'anima

"L'Anima et l'Animus se situe à la limite supérieure du clair-obscur de l'être...Aussi longtemps qu'ils se trouvent dans cet état, ils doivent être reconnus et acceptés comme personnalités parcellaires relativement indépendantes...ce n'est que lorsque le conscient aura acquis une connaissance suffisante...que celle-ci pourra être ressentie comme un simple fonction."  
Jung, Commentaire sur la Fleur d'Or

On passe de l'image au contenu,  de la personnification à la fonction, qui, implicitement, lui est supérieure.
Comme l'écrit Corbin, l'image féminine que rencontre le héros n'est pas son ennemi mais son ange gardien.
Voici qu'apparaît une dynamique psychique atypique dans la psychologie de Jung : Intégrer l'Anima n'est pas seulement reconnaitre son autonomie et sa "personnification" mais aussi de transformer cette personnification en fonction.
  • Il faut, en quelque sorte, percevoir la nature véritable des aspects personnels de toute personnification,
  • L'intégration est un changement de point de vue qui passe de elle en moi à moi en elle.

8- Médiatrice de l'inconnu

Au regard de ce qui a déjà été évoqué, nous pourrions écrire que l'Anima représente l'inconnu en tant qu'il est le mystère de la conscience en relation avec la nature et la vie.
Si elle n'est pas, loin s'en faut, le seul archétype en jeu dans l'individuation, elle reste cependant celui de l'appel psychologique, celui qui médiatise l'inconscient.
Et avant de devenir conscient, nous devons pouvoir savoir où, quand et comment nous sommes inconscients.
Mais il y a un écueil empoisonné à esquiver : l'Anima n'apporte pas de réponse, elle les portent, sous forme d'image !
Et c'est précisément ici que l'âme, la psyché, a besoin du logos, de l'intellect.
"C'est de la tête que sort le corps et ceci est également l'œuvre de Eve."  Jung, Psychologie du transfert

mercredi 10 août 2022

Archétype (9) - L'anima chez Jung - James Hillman - Partie 2

Reprenons le travail de synthèse entamé ici.
Hillman, qui nous a quitté il y a un peu plus de 10 ans (27 octobre 2011) est souvent considéré comme LE continuateur de la pensée de Jung outre-atlantique sur le thème des archétypes.
Nous avions précédemment passés au crible les notions de contrepartie sexuelle de l'homme, de l'Eros et du sentiment pour finalement conclure avec Hillman que l'Anima ne pouvait pas y être contenue de manière satisfaisante.

4- Anima et féminin

Hillman fait un constat simple et solide : si l'Anima a une dimension archétypale reconnue (Jung l'appelle parfois "l'archétype du féminin"), elle ne peut être seulement dédiée à la psyché masculine.
Nous butons face à l'interprétation populaire du concept de Jung mais Hillman nous rappelle que le même comportement est appelé Anima chez l'homme et nature féminine ou ombre chez la femme...

Il émet l'hypothèse que les femmes sont, par nature, âme si l'on accepte le lien entre âme et féminité. Mais le sentiment intime de l'âme n'est pas donné à la femme.
Le travail avec l'Animus qui est une conquête de l'esprit (Logos) fait ressortir que l'âme est bien la sphère de leur besoin et donc non acquise de fait. 
L'esprit actif n'est pas l'imaginal et les deux sont nécessaires à la constitution de l'âme !
 
Hillman conclue ainsi :
"L'Anima devient ainsi le véhicule originel de la psyché ou l'archétype même de cette dernière".
Anima Mundi: Jung y la dupla ánimus-ánima

5- Anima et psyché

Anima comme archétype de la psyché, Hillman s'appuie sur plusieurs constatations :
  • Jung associe beaucoup d'images à l'Anima mais garde hors de ses limites la mère. L'Anima est alors source de croissance qui éloigne de la nature. Dans l'alchimie, ce processus spécifique, appelé opus contra naturam relation qu'entretient l'adepte avec l'anima-soror, est la perspective de compréhension psychologique à opposer à la compréhension naturaliste des évènements psychiques.
  • Rappelons le lien étroit qu'établissait Jung entre Anima et Mercure, entre la "personnification de l'inconscient collectif" et "l'archétype de l'inconscient". Hillman exprime que leur identité est d'autant plus étroite que la différenciation esprit/âme n'est pas faite. 
  • Sur le plan alchimique, l'anima s'apparente à Luna et Regina. Jung s'est attardé sur Regina et conclue par le fait qu'elle est conjonction simultanée de la contrepartie du corps et de la contrepartie de l'esprit. "L'anima n'est peut être qu'une seul parmi les ingrédients de l'alchimie du processus psychique.Mais du fait de son rôle conjonctif (anima mercurius), elle constitue ce facteur au travers duquel tout se produit de façon psychique". Nous trouvons même l'idée chez Jung que plus l'Anima parvient à sa réalisation, plus l'existence psychique devient réalité.
  • Jung a construit ses théories sur cinq pulsions instinctuelles (contre, en schématisant un peu, une seule pour Freud) : faim, sexualité, activité, réflexion et création. La notion de réflexion, "se pencher en arrière" et "se tourner vers l'intérieur" est en forte corrélation avec l'anima. "La faveur des images intérieures...correspond à l'intériorisation par le sacrifice décrite par Jung, nécessaire à la conscience psychique". Dans ses séminaires anglais, Jung parle de "l'esprit de nature", où nous ne pensons pas mais sommes pensés, et il affirme que cet esprit est une propriété exclusivement féminine.  "...la réflexion est un acte spirituel qui va à l'encontre du processus naturel; un acte au moyen duquel nous nous arrêtons pour évoquer quelque chose, former une image, puis entrer en relation pour ensuite en finir avec ce que nous avons vu. Il faut, par conséquent, la comprendre comme un acte permettant de devenir conscient". Ou encore, parlant de l'anima "C'est la vie derrière la conscience...dont la conscience est issue"

Les archétypes

mercredi 20 juillet 2022

Archétype (8) - L'anima chez Jung - James Hillman - Partie 1

 Le thème, inépuisable, de l'anima, souvent caricaturé, souvent dénaturé, rarement sais dans sa profondeur et son amplitude, a été savamment traité par James Hillman. On peut découvrir son approche dans un ouvrage malheureusement aujourd'hui très difficile à se procurer, qui est complété par une étude de Emma Jung (Anima et Animus - Hillman et Emma Jung). Dans cet essai, le psychologue est allé très loin dans ses tentatives d'encadrement de la notion d'Anima...tentatives passionnantes par les perspectives offertes et les profondeurs d'implication
Nous allons nous efforcer de résumer les nombreuses facettes évoquées de cet archétype "à part".

1- Contrepartie sexuelle

Il s'agit là de l'acception la plus usuelle, se résumant par le fragment le plus inconscient de la psyché masculine, associé à sa part de féminité, tapie dans "l'ombre". Mais sur ce point, Hillman demeure assez circonspect et remet en perspective la relativité de ce que l'on nomme les attributs sexuels.
"...aussi longtemps que l'Anima restera la "salade russe" dans laquelle seront confondues sentiment, Eros, relations humaines, introversion,...le développement de l'anima, but de la thérapie, tout comme l'anima elle-même, continuera à signifier tout et n'importe quoi..."


2- Eros

Contenus et sentiments érotiques seraient liés à l'anima.
Pourtant, Hillman nous explique que les quatre degrés de l'anima mis en lien avec les quatre stades de la culture de l'Eros (Eve, Hélène, Marie, Sophia) par Jung sont des images du féminin sacré, un Graal pour recueillir son sang mais ne sont pas l'Eros.
Selon lui, "l'anima ne rentre en usage pour nommer la vie de l'âme qu'après notre mort" (symbolique), c'est une mort tapie en notre âme, nous sommes éloignés de la pulsion de vie de l'Eros. Il nous rappelle également justement que tout ce qui est féminin n'est pas nécessairement Anima et que tout ce qui est Anima n'est pas forcément vénusien.
A ce sujet, Hillman aborde la question de l'archétype d'Aphrodite qui brouille beaucoup les cartes car tout en désirant être reconnue, pousse son fils porteur de vie dans la danse.
"Bien que l'amour soit essentiel à l'âme,...et bien que l'âme soit ce par quoi nous recevons l'amour, il n'en est pas moins vrai que l'âme n'est pas l'amour".


3- Le sentiment

Anima comme archétype de la fonction sentiment ?
Forfaiture d'après Hillman qui explique cette confusion par l'idée d'infériorité (dans l'esprit collectif, fonction sentiment et féminité sont à développer pour l'homme) et par l'idée que le sentiment serait une prérogative féminine. 
La tâche ne serait pas de différencier le sentiment pour différencier l'Anima mais de différencier le sentiment de l'Anima.
Hillman pousse le raisonnement en dressant le constat de ce qui semble être la panacée pour une certaine psychologie analytique Anima = relation = sentiment.
Cependant, comme il le précise, l'Anima est une fonction de relation qui médiatise le personnel et le collectif, ce qui est réel et ce qui ne l'est pas...ce n'est pas du tout une fonction du relationnel.
De plus, associer Anima et sentiment signifie que le rapport de deux personnes ne se fait plus à l'aune de leur personnalité propre mais de reflets archétypaux et que le développement thérapeutique est basé sur la culture du sentiment...le processus lui semble en réalité plus complexe.
"Le sentiment qui se développe au cours de la constitution de l'âme est plus impersonnel, une sensibilité de détail envers la valeur spécifique des contenus psychiques et des attitudes, qu'il n'est personnel".

Les archétypes

lundi 9 mai 2022

Le poisson rouge est mort...

Quoi de plus anodin, de plus anecdotique ? Après tout, cette "petite chose colorée" ne présentait plus aucun intérêt depuis longtemps. 
Nous ne le nourrissions que par mécanisme, souvent avec un léger agacement pour cette perte de temps inutile. 
Mais alors depuis sa disparition, pourquoi ce désagrément ? Pourquoi cet inconfort ?

Il me semble que ce type d'évènement, aussi insignifiant qu'il semble être, nous met face à un constat déplaisant : nous vivons endormis !
Qui n'a jamais reçu ces emails "polluants", où il est question de l'importance de montrer qu'on aime aux gens qu'on aime, de profiter de l'instant présent pour ce qu'il est, que la clef du bonheur réside dans le ici et maintenant ? Je mets au défi quiconque de déclarer,  avec sincérité, que "quelque chose en eux" n'a pas été touché, au moins de manière fugace. 
Certes, les proses de ces "spams" sont tissés pour provoquer larmoiement et émotion facile mais peu importe, si cela fonctionne, c'est qu'ils font écho à quelque chose en nous...quelque chose d'éteint, en sommeil ou camoufler par le tourbillon de la vie.
Nous vivons pour la plupart vite, très vite, trop vite. 
J'aimerais éviter de tomber dans des lieux communs mais ils sont bien souvent emplis d'une vérité...vérité tellement évidente et claire qu'on ne la voit plus. Au risque de jouer de la philosophie de comptoir, il me semble que dans cette cyber-époque où tout est accessible tout de suite, nous ne parcourons plus le paysage, nous ne faisons que le franchir. Les informations utiles ou inutiles s'enchaînent sur nos écrans, les photos prises par nos téléphones s'accumulent par milliers sans jamais être regardées, etc.
L'aptitude naturelle qui consistait à considérer chaque évènement de notre quotidien dans l'instant, de lui accorder l'attention et l'intention, a pratiquement disparu. 
Sclérosé dans nos frustrations passées,  angoissé par un futur toujours incertain, quelle est la place réservée au présent dans nos vies ?
" Hic Rhodus, hic salta ", C'est ici Rhodes, c'est ici que tu dois danser !" : Jung aimait répéter cette phrase. Oui, c'est ici et maintenant que nous devons vivre, oui une partie de nous ne doit pas craindre de s'engager dans le tourbillon du quotidien, mais il importe également de trouver en soi ce témoin intérieur suffisamment distancié pour ne pas s'identifier aux mouvements du moi. Là est le centre, là est le point fixe, c'est là que s'enracine le Je !

 


Alors, me direz vous, que reste t'il à faire ?
Peut-être réapprendre à apprécier le temps qu'il faut pour regarder le poisson rouge.