dimanche 14 mai 2023

Dans les forêts de Sibérie - Sylvain Tesson


Une fois n'est pas coutume, je ne vais pas évoquer d'ouvrage autour de la psychologie mais je reviens aux écritures poétiques, dans la veine de la plume de Bobin (voir ici). 
L'auteur est un aventurier, au sens originel, tour de monde en vélo, traversée de l’Himalaya, escalade de Notre Dame de Paris sont parmi ses faits d'arme. Il faillit perdre sa vie en août 2014, chutant de 8 m en pratiquant son exercice favori, déambuler sur les toits de Paris. Mais son grand amour réside en Russie orientale, s'étendant de la Sibérie à la Mongolie et détient un record de taille et de transparence : le lac Baïkal.


Je ne m'étendrais pas outre mesure et préfère, une nouvelle fois, laisser parler les mots du livre. Mentionnons qu'il s'agit du récit de l'auteur qui a choisi de vivre 6 mois dans une cabane de pêcheur durant l'hiver, au fin fond  des forêts de Sibérie, à quelques centaines de mètre de l'objet de ses désirs, les berges du lac Baïkal. La prose nous délivre les émotions, les paysages, les contemplations, les rapports humains, le rapport à la solitude, du rêve, de l'inaccessible...à découvrir pour tout amateur de belle plume évocatrice.

J'engage chacun à découvrir l'auteur à travers ses interviews et, surtout, ses ouvrages...mots percutants de sa part, "la vie ne tient de la grâce que par sa fragilité et son incontournable fin !".


Quelques extraits

C'est le soir, il est 9 heures, je suis devant la fenêtre. Une lune timide cherche une âme sœur mais le ciel est vide. Moi qui sautais au cou de chaque seconde pour lui faire rendre gorge et en extraire le suc, j'apprends la contempla­tion. Le meilleur moyen pour se convertir au calme monas­tique est de s'y trouver contraint. S'asseoir devant la fenêtre le thé à la main, laisser infuser les heures, offrir au paysage de décliner ses nuances, ne plus penser à rien et soudain saisir l'idée qui passe, la jeter sur le carnet de notes. Usage de la fenêtre : inviter la beauté à entrer et laisser l'inspira­tion sortir. 


C'est dans l'intérêt du solitaire de se montrer bienveillant avec ce qui l'entoure, de rallier à sa cause bêtes, plantes et dieux. Pourquoi ajouterait-il à l'austérité de son état le sen­timent de l'hostilité du monde? L'ermite s'interdit toute brutalité à l'égard de son environnement. C'est le syn­drome de saint François d'Assise. Le saint parle à ses frères oiseaux, Bouddha caresse l'éléphant enragé, saint Séraphin de Sarov nourrit les ours bruns, et Rousseau cherche conso­lation dans l'herborisation. 


Un ermite ne menace pas la société des hommes. Tout juste en incarne-t-il la critique. Le vagabond chaparde. Le rebelle appointé s'exprime à la télévision. 
L'anarchiste rêve de détruire la société dans laquelle il se fond. Le hacker aujourd'hui fomente l'écroulement de citadelles virtuelles depuis sa chambre. Le premier bricole ses bombes dans les tavernes, le second arme des pro­grammes depuis son ordinateur. Tous deux ont besoin de la société honnie. Elle constitue leur cible et la destruction de la cible est leur raison d'être. 
L'ermite se tient à l'écart, dans un refus poli. Il ressemble au convive qui, d'un geste doux, refuse le plat. Si la société disparaissait, l'ermite poursuivrait sa vie d'ermite. Les révoltés, eux, se trouveraient au chômage technique. L'er­mite ne s'oppose pas, il épouse un mode de vie. Il ne dénonce pas un mensonge, il cherche une vérité. Il est physiquement inoffensif et on le tolère comme s'il appar­tenait à un ordre intermédiaire, une caste médiane entre le barbare et le civilisé. Yvain, le chevalier fou d'amour, erre tout nu dans la forêt. Il rencontre un ermite qui le recueille, le soigne, le ramène à la raison et le reconduit à la ville. L'ermite, passeur des mondes. 


Sur la grève, les événements des derniers jours ont libéré la vie. Le jour est plein de mouches. Je fais la sieste sur des galets chauffés. Sur les talus, des bouquets d'anémones piquettent le sable. Des canards se sont abattus sur les plans libres, avides d'amour et d'eau fraîche. Ils prenaient du bon temps au sud. Quand les chiens courent vers eux, ils décollent pathétiquement. Les hommes ont d'abord imité les oiseaux pour construire des avions, les canards, eux, imitent les premiers avions. Les rives sont agitées par un meeting aérien permanent. Des aigles planent, les oies patrouillent en bandes, les mouettes enchaînent les piqués et des papillons, tout étonnés de vivre, titubent dans l'air. Quarante-huit heures ont suffi au printemps pour confirmer son putsch.


vendredi 12 mai 2023

La foudre, le Christ, le pouce droit...


9 ans plus tôt...thème intemporel que je relaye.

 

Une fois n'est pas coutume, je rebondis sur un fait, une image, d'actualité. La très fameuse statue du Christ rédempteur, à Rio de Janeiro, a servi de paratonnerre lors d'un orage d'une rare violence au Brésil.
 
Dans une période tourmentée, où la fourmilière humaine est prise de secousses, où la nature sait démontrer, par la force, son véritable rang à ses hyménoptères parasitant, j'ai trouvé cette anecdote intéressante.
Au-delà des clichés remarquables et spectaculaires, le symbole n'est il pas fascinant ?
 
 
Ce symbole chrétien du salut de l'âme, du rachat définitif des pêchés, a été touché par la colère de son père, si l'on en reste au plan symbolique qui nous intéresse...
 
 
Ainsi, dans cet instant saisissant, le Christ a perdu un morceau du pouce droit nous relatent les journaux.
 
Le pouce, ce doigt de la préhension, qui permet donc de saisir, est souvent associé à l'autorité (ne permettait il pas, lors des jeux romains, de prendre ou donner la vie ?).
Encore nommer doigt de Vénus en chiromancie, il exprime aussi la force vitale.
Si l'on considère que le côté droit est d'orientation énergétique masculine, rationnelle, mentalisée, le pouce droit peut alors ramener à un besoin de contrôle et d'autorité.
 
Et si la nature nous envoyait, avec force, ce message : arrêter de vouloir contrôler ?
 
Evidemment, tout ceci n'est qu'un rêve...



mardi 2 mai 2023

Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955)

Voici un nom qui reste dans la mémoire collective mais assez peu connaisse l'œuvre de cet homme au parcours atypique, contemporain de Jung. Education catholique rigoureuse, ordonné prêtre de la communauté jésuite à 30 ans, formé à la paléontologie où ses recherches aboutiront à des découvertes encore reconnues aujourd'hui. En d'autres termes, un homme de science et de religion engagé qui puisera dans ces sources pour aboutir à des thèmes qui ne peuvent qu'émouvoir les jungiens en particulier et le "cherchant" en général. 
Deux caractéristiques principales : 
  • la conviction que l'évolution de l'homme l'amènera à une spiritualisation de la matière, plus haut degré de spiritualité,
  • un axe de recherche qui, toujours, présente esprit et matière comme deux facettes de la même réalité. 

L'homme

En lisant la biographie de De Chardin, j'ai retrouvé des similitudes avec la personnalité de Jung (et probablement communes à tous les grands esprits); citons en particulier l'amour de l'humain, une force et un dévouement inouï pour ses recherches, qui le conduiront jusqu'au sacrifice ultime (en découvrant sa publication sur le Pêche originel, qui le mènera à une mise à l'index de l'église et de lourdes contraintes posées par son ordre, je revoyais Jung abandonnant l'école freudienne en publiant ses Métamorphoses de l'âme).

Sa pensée 
(Très succinctement)

Je vais m'éloigner un peu de la paléontologie, centre "officiel" de ses recherches. 
Ses travaux sur l'évolution de l'espèce humaine (alliés à ses connaissances théologiques) l'amenèrent à certains concepts qui ne seront pas sans nous évoquer ceux de Jung.
Nous pourrions résumer ceci par cette phrase : l’évolution est une montée spirituelle qui a sa source dans la « puissance spirituelle de la matière »
Pour De Chardin, un examen critique de l'histoire de l'espèce humaine aboutit à la conclusion suivante : l'homme est conduit,  naturellement, à une spiritualisation de plus en plus structurée et extériorisée, impliquant une conscience en continuelle accroissement (formulation différente mais idée identique exprimée par Jung lorsqu'il mentionne les primitifs et leur spiritualité basée sur des projections nommées "les esprits de la nature").
Il nous faut mentionner également sa théorie de l’énergie qu'il considère comme l'élément originaire de la vie elle-même. Il la conçoit à l'origine de la nature psychique, se différenciant ensuite en énergie physique et en matière. 
Esprit et matière seraient donc intrinsèquement liés
L'homme serait porteur de ce potentiel spirituel, étant le seul être vivant pouvant connaître une croissance continue de la conscience.


La noosphère

Le radical grec noüs désigne un concept aristotélicien évoquant le principe qui ordonne esprit et matière. Chardin emprunte le terme du chimiste et minéralogiste Vernadsky. Ce dernier voyait là la troisième étape du vivant, après la géosphère (aspect minéral servant de support à la vie)  de et la biosphère (ensemble des 3 écosystèmes portant la vie, terre, air et mer).
Il est délicat de résumer trop simplement ce concept car De Chardin lui-même l'a développé, enrichi et précisé tout au long de sa vie...disons, de manière lapidaire, qu'il s'agirait d'un tissu vivant enveloppant la planète (à l'instar des différentes couches de l'atmosphère) et constitué d'une part de la conscience de chaque individu depuis que l'homme possède une conscience de lui-même. Cette "nappe" issue de consciences posséderait elle-même sa propre faculté de pensée
Pour le jésuite, cette noosphère conduirait graduellement l'humanité a toujours plus de conscience, dépassant les civilisations, puis les sociétés, les lois puis l'éthique, pour renouer avec l'esprit immanent de la matière sous une forme unifiée de "spiritualité".

A chacun d'y voir les (fortes) similitudes avec la notion d'inconscient collectif...
Jung écrira à la fin de sa vie qu'il était convaincu que De Chardin connaissait ses travaux...il est vrai que la noosphère et l'inconscient collectif ont indéniablement de très forts liens de cousinage.