jeudi 30 décembre 2021

Jung et les Alcooliques Anonymes

Voici un épisode souvent considéré comme anecdotique voire passé sous silence, et pourtant, force est d'admettre que Jung fut là aussi très en avance sur son temps dans ce qui sera nommé, bien plus tard, addictologie, en inspirant notamment une fameuse association de lutte contre l'alcoolisme.

J'ai traduit ici un très bon article qui résume en référençant l'histoire... 

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Les Alcooliques anonymes ont peut-être autant de voies possibles au 21e siècle que de gens qui les emprunteront - de toutes les religions du monde à aucune religion. La «communauté internationale d'aide mutuelle» a eu «un effet significatif et durable sur la culture des États-Unis», écrit Charles Fox, professeur de psychologie à la Worcester State University à l'Université Aeon. En effet, son influence est globale. Depuis sa création en 1935, A.A. a représenté une «thérapie extrêmement populaire et un témoignage de la nature interdisciplinaire de la santé et du bien-être».
A.A. a également représenté, au moins culturellement, une synthèse remarquable de la science comportementale et de la spiritualité qui se traduit par des dizaines de langages, de croyances et de pratiques différentes. Ou du moins, c’est comme cela que l’on peut le voir en parcourant les recueils de livres consacrés à A.A. - le bouddhisme, le yoga, le catholicisme, le judaïsme, les traditions religieuses, les pratiques chamanistes, le stoïcisme, l’humanisme laïc et, bien sûr, la psychologie.
Cependant, historiquement et souvent dans la pratique, la (non) organisation de communautés mondiales a représenté une tradition beaucoup plus étroite, héritée de groupe évangélique (avec «e» minuscule) Christian Oxford, ou comme le fondateur des AA, Bill Wilson, les a appelés «le« O.G. »». Wilson attribue au groupe d’Oxford la méthodologie de A.A. : "Leur grande importance accordée aux principes de l'auto-enquête, de la confession, de la restitution et du don de soi au service d'autrui."

La théologie du groupe d’Oxford, bien que nuancée et tempérée, a également fait son chemin dans de nombreux principes de base de A.A. Mais pour la genèse du groupe de récupération, Wilson cite une autorité plus laïque, Carl Jung
Le célèbre psychiatre suisse s’intéressa vivement à l’alcoolisme dans les années vingt. Wilson a écrit à Jung en 1961 pour exprimer sa "grande gratitude" pour ses efforts. «Une certaine conversation que vous avez eue avec un de vos patients, un certain M. Rowland H. au début des années 30, explique Wilson, a joué un rôle crucial dans la création de notre Association."

Jung n’a peut-être pas connu son influence sur le mouvement de rétablissement, explique Wilson, bien que les alcooliques aient représenté «environ 13% de toutes les admissions» dans sa pratique, note Fox. Un de ses patients, Rowland H. - ou Rowland Hazard, «banquier en investissement et ancien sénateur de l'État du Rhode Island» - est venu à Jung désespéré, l'a vu quotidiennement pendant plusieurs mois, a cessé de boire, puis a rechuté. Ramené à Jung par son cousin, Hazard fut informé que son cas était sans espoir, à moins d'une conversion religieuse. Comme Wilson le dit dans sa lettre :
[Vous] lui avez dit franchement son désespoir en ce qui concerne tout traitement médical ou psychiatrique ultérieur. Cette déclaration franche et humble de votre part était sans aucun doute la première pierre sur laquelle notre Société a depuis été construite.
Jung a également déclaré à Hazard que les expériences de conversion étaient incroyablement rares et a recommandé qu'il "se place dans une atmosphère religieuse et qu'il espère que tout ira pour le mieux", se souvient Wilson. Mais il n'a pas précisé de religion particulière. Hazard a découvert le groupe Oxford. Pour Jung, il aurait peut-être rencontré Dieu tel qu'il l'avait compris, n'importe où. "Son envie d'alcool était l'équivalent", écrit le psychiatre dans une réponse à Wilson, "à un faible niveau, de la soif spirituelle de notre être pour la plénitude, exprimée en langage médiéval: l'union avec Dieu.
Dans sa lettre de réponse à Wilson, Jung utilise un langage religieux allégoriquement. Les AA ont pris l'idée de la conversion plus littéralement. Bien qu'il se soit débattu avec le sort de l'agnostique, le Big Book (Livre fondateur de la voie des AA) a conclu que de telles personnes devaient à terme voir la lumière. 
Jung, quant à lui, semble très prudent pour éviter une interprétation strictement religieuse de son conseil à Hazard, qui a créé le premier petit groupe qui convertirait Wilson à la sobriété et aux méthodes du groupe Oxford :
"Comment peut-on formuler une idée qui ne soit pas mal comprise de nos jours?...Le seul moyen vrai et légitime de vivre une telle expérience est que cela vous arrive en réalité et cela ne peut vous arriver que lorsque vous empruntez un chemin qui vous conduit à une meilleure compréhension...La sobriété pourrait être obtenue par "une éducation supérieure de l'esprit au-delà des limites du simple rationalisme...par le biais d'une expérience d'illumination ou de conversion, voici la réalité. Cela peut également se produire par un acte de grâce ou par un contact personnel et honnête avec des amis. "

Bien que la plupart des membres fondateurs des AA se soient battus pour une interprétation plus stricte de la prescription de Jung, Wilson a toujours laissé entendre que de multiples voies pourraient amener les alcooliques au même objectif, y compris la médecine moderne. Il s'est inspiré des opinions médicales du Dr William D. Silkworth, qui avait émis l'hypothèse que l'alcoolisme était en partie une maladie physique, «une sorte de difficulté métabolique qu'il a ensuite appelée une allergie». Même après sa propre expérience de conversion, que Silkworth, comme Jung, recommandé de poursuivre, Wilson a expérimenté des thérapies de vitamines, sous l'influence d'Aldous Huxley.
 
Sa quête pour comprendre son moment mystique de «lumière blanche» dans une salle de désintoxication à New York a également conduit Wilson à William James, dans Les formes multiples de l'expérience religieuse. Le livre "m'a donné la réalisation", a-t-il écrit à Jung, "que la plupart des expériences de conversion, quelle que soit leur variété, ont un dénominateur commun de l'effondrement de l'ego en profondeur.
Il pensait même que le LSD pourrait agir en tant que "réducteur temporaire de l'égo" après avoir pris le médicament sous la supervision du psychiatre britannique Humphrey Osmond. (Jung se serait probablement opposé à ce qu'il a appelé des «raccourcis» comme les drogues psychédéliques.) 

"Dans les lettres entre Wilson et Jung", comme Ian McCabe le soutient Carl Jung and Alcoholics Anonymous, "nous voyons une admiration réciproque entre les deux, ainsi qu'une influence réciproque". 
"Bill Wilson" écrit Bill McCabe, "fut encouragé par les écrits de Jung à promouvoir l'aspect spirituel du rétablissement", un aspect qui revêt un caractère particulièrement religieux chez Alcooliques anonymes. 
Pour sa part, Jung, "influencé par le succès de A.A. (…) a donné des instructions complètes et détaillées sur la manière dont le format de groupe AA pourrait être développé plus avant et utilisé par les «névrosés généraux».

lundi 6 décembre 2021

Carl Jung...par lui-même

   Ma vie est l’histoire d’un inconscient 

qui a accompli sa réalisation.

Ces quelques mots, les premiers du prologue (p17), sont parmi les plus connus de la biographie de Jung, Ma Vie (on leur a fait dire, d'ailleurs, à peu près tout, et souvent des interprétations éloignées de leur sens réel).

Pourtant, à l'autre extrémité du volume, en guise de conclusion, la section XII nommée Rétrospective (p418), contient un petit trésor ; Jung, sans concession, se livre à quelques confidences sur son identité, sa personnalité, sa place dans ce grand mystère qu'est la vie.

 
Quand on dit de moi que je suis sage, que j’ai accès au « Savoir », je ne puis l’accepter. Un jour, un homme a empli son chapeau d’eau puisée dans un fleuve. Qu’est-ce que cela signifie ? Je ne suis pas ce fleuve. Je suis sur la rive, mais je ne fais rien...
...La différence entre la plupart des hommes et moi réside dans le fait que, en moi, les « cloisons » sont transparentes. C’est ma particularité. Chez d’autres, elles sont souvent si épaisses, qu’ils ne peuvent rien voir au-delà et pensent par conséquent, qu’au-delà il n’y a rien. Je perçois jusqu’à un certain point les processus qui se déroulent à l’arrière-plan et c’est pourquoi j’ai une sécurité intérieure...
p418

Enfant, je me sentais solitaire, et je le suis encore aujourd’hui, car je sais et dois mentionner des choses que les autres, à ce qu’il semble, ne connaissent pas ou ne veulent pas connaître. La solitude ne naît point de ce que l’on n’est pas entouré d’êtres, mais bien plus de ce que l’on ne peut leur communiquer les choses qui vous paraissent importantes, ou de ce que l’on trouve valables des pensées qui semblent improbables aux autres...nul ne ressent plus profondément la communauté que le solitaire; et la communauté ne fleurit que là où chacun se rappelle sa nature et ne s’identifie pas aux autres.
p419

J’ai heurté beaucoup de gens; car dès que je sentais qu’ils ne me comprenaient pas, ils avaient perdu tout intérêt pour moi. Je devais continuer. Mes malades mis à part, je n’avais pas de patience avec les hommes. Il me fallait toujours suivre la loi intérieure qui m’était imposée et qui ne me laissait pas la liberté du choix...
J’ai dû apprendre péniblement que les êtres étaient encore là, même quand ils n’avaient plus rien à me dire...
J’étais capable de m’intéresser intensément à certains êtres, mais dès qu’ils devenaient translucides pour moi, le charme était rompu. De la sorte, je me suis fait beaucoup d’ennemis.
Mais comme personnalité créatrice, on est livré, on n’est pas libre, on est enchaîné et poussé par le démon intérieur.
p420

Peut-être pourrais-je dire : plus que d’autres, j’ai besoin des hommes, et, en même temps, bien moins. Lorsque le daimon, le démon intérieur est à l’œuvre, on est toujours trop près et trop loin. Ce n’est que quand il se tait qu’on peut garder une tiède mesure.
Le démon intérieur et l’élément créateur se sont imposés en moi de façon absolue et brutale.
Je regrette beaucoup de bêtises, nées de mon entêtement, mais si je ne l’avais pas eu, je ne serais pas arrivé à mon but. De sorte qu’à la fois je suis déçu et ne suis pas déçu.
Je suis déçu par les hommes et je suis déçu par moi. Au contact des hommes j’ai vécu des choses merveilleuses et j’ai moi-même œuvré plus que je ne l’attendais de moi.
p421

Je suis étonné de moi-même, déçu, réjoui. Je suis attristé, accablé, enthousiaste. Je suis tout cela et ne parviens pas à en faire la somme.
Je suis hors d’état de constater une valeur ou une non-valeur définitives ; je n’ai pas de jugement sur moi ou sur ma vie.
Je ne suis tout à fait sûr en rien.
Je n’ai à proprement parler aucune conviction définitive – à aucun sujet. Je sais seulement que je suis né, et que j’existe; et c’est comme si j’éprouvais le sentiment d’être porté. J’existe sur la base de quelque chose que je ne connais pas. Malgré toute l’incertitude je ressens la solidité de ce qui existe, et la continuité de mon être, tel que je suis.
p422

Et pourtant, il est tant de choses qui m’emplissent : les plantes, les animaux, les nuages, le jour et la nuit, et l’éternel dans l’homme. Plus je suis devenu incertain au sujet de moi-même, plus a crû en moi un sentiment de parenté avec les choses.
Oui, c’est comme si cette étrangeté qui m’avait si longtemps séparé du monde avait maintenant pris place dans mon monde intérieur, me rrévélant à moi-même une dimension inconnue et inattendue de moi-même.
p423

The Earth has a soul - écopsychologie

vendredi 20 août 2021

Archétype (4) - Anima

(Mise à jour de l'article du 03/08/2011)

Une instance inconsciente de nature féminine dans la psyché de l'homme
. Voici la définition communément admise de l'archétype Anima. Bien trop réducteur et simpliste, quand on sait que Jung y a consacré des décennies d'études, finissant par le placer au centre des principaux enjeux de la dynamique psychique.
Nous verrons que cet archétype est à la source de plusieurs voies de transformation. Cet article n'est qu'une présentation sommaire et, nous engageons ardemment le lecteur désireux de plus de profondeur et précisions à consulter l'étude de James Hilman dans son ouvrage remarquable. (La série d'articles tente de reprendre l'ensemble des clefs de définition trouvé par l'auteur)

Précisions liminaires de Jung (Dialectique du Moi et de l'inconscient ) :
"L'anima répond à des données empiriques que l'on parvient, au prix de grandes difficultés, il est vrai, à exprimer en langage rationnel et abstrait"

 "L'idée d'Anima est une pure notion d'expérience qui n'a d'autre but que de donner un nom à un groupe de phénomènes apparentés ou analogues, il ne s'agit en rien d'une invention théorique ou -pis encore- d'une mythologie"

Collectif vs Individuation

Dans un monde "extérieur" qui, insidieusement, place comme priorité le positionnement social, l'accomplissement familial, professionnel etc., le Moi, durant sa première "réalisation" de vie, s'est inspiré de ce cadre collectif. Il est ainsi naturellement attiré par la Persona.
Réfugié, "replié sur soi-même",  s'identifiant à ce masque, on se croit accompli et pleinement réalisé.
Ce serait sans compter sur la nature autonome et compensatoire des forces de l'inconscient.
Alors qu'à l'extérieur, on lui demande d'incarner le rôle du héros viril et sans faille, grandit à l'intérieur de l'homme une force compensatrice, porteuse d'émotions profondes, de faiblesses assumées, l'Anima.
Le Moi, comme nous l'avons vu, déteste le changement et l'Anima constitue alors un danger, un ennemi...Elle ne peut pas être considérée, encore moins reçue, dans un premier temps. Elle trouvera, dans un premier temps, son mode d'expression dans les projections .


Surgissement de l'Anima

Se manifestant à travers les projections, le premier "porteur" sera naturellement la mère pour le fils.
On devine aisément alors tous les risques constitués par cette "relation à 3", pouvant mener à diverses catastrophes si la fascination persiste.
Au cours de la vie de l'homme, ces projections vont évoluées, passant de la mère aux femmes "attirantes" puis, parfois, à la femme aimée...on comprend l'enjeu essentiel pour l'homme d'ouvrir le "dialogue" avec son anima car son degré d'autonomie, et donc l'intensité de ses compensations, varie proportionnellement à la distance qui sépare le conscient et l'inconscient
Ainsi un homme fasciné par son Anima tombera sous le joug d'une femme réceptacle de ses projections, illusions à l'issue toujours fatale et rendant impossible toute relation authentique de couple.


Pour résumer succinctement, on peut convenir que l'Anima correspond :
  • d'une part, à la capacité relationnelle de l'homme, à ce que l'on pourrait résumer par le monde de l'intériorité, de la réceptivité, des émotions et du « sentiment » 
  • et, d'autre part, à l'archétype du Féminin dans son aspect impersonnel, séducteur et fascinant, que ce soit sous son aspect positif comme dispensatrice "d'éros" et de vie ou sous celui destructeur et mortifère de la femme fatale.
En effet, il est important de rappeler que comme tout archétype, l'Anima joue sur deux rôles opposés dans le psychisme (Déesse/Femme profane, Maman/Putain, Vénus/Femme fatale, etc.).

Différenciation et intégration

La confrontation avec l'Anima permet l'intégration de leurs contenus, le retrait des projections (et l'acquisition de la libido correspondant vers la conscience)...
Mais ceci est une affirmation théorique qui, dans la réalité, et comme tout labeur sur le chemin de l'individuation, implique sacrifices, remises en question perpétuelles, confrontation à l'inconnu le plus sombre. 
Jung évoque une "descente en enfer".

Au bout du chemin, quand l'Anima est acceptée comme interlocuteur, guide, elle retrouve sa fonction première : une fonction psychique de communication avec l'inconscient. Jung, Dialectique du Moi et de l'insconscient :
"....C'est parce que nous ne les utilisons pas consciemment et intentionnellement comme fonctions que l'anima et l animus sont encore des complexes personnifiés. Aussi longtemps qu'ils se trouvent dans cet état, ils doivent être reconnus et acceptés en tant que personnalités parcellaires relative­ment indépendantes. Ils ne peuvent pas s'intégrer au conscient tant que leurs contenus sont ignorés de celui-ci. La confrontation doit amener leurs contenus au grand jour, et ce n'est que lorsque ce travail aura suffisamment progressé, ce n'est que lorsque le cons­cient aura acquis une connaissance suffisante des pro­cessus de l'inconscient qui s'expriment et se reflètent dans l1'anima que celle-ci pourra être ressentie comme une simple fonction..."


En guise de conclusion, évoquons un constat simple mais qui n'est pas souvent "entendu" : en tant qu'archétype de l'inconscient collectif, l'Anima est aussi présent dans l'inconscient de la femme !
Évidemment, il n'agit pas selon les mêmes modalités d'opposition au conscient mais plutôt comme l'empreinte d'un féminin éternel
Et de ce Féminin archétypique émanent les dispositions fonctionnelles propres à la nature féminine. De la même manière, il est porté au début par la mère ou grand-mère...suscitant parfois une fascination réciproque en chaîne où amour et haine sont imbriqués....mais voici un autre sujet.

Les archétypes

samedi 7 août 2021

Archétype (2) - La persona


Jung la décrit ainsi : " la persona est ce que quelqu'un n'est pas en réalité, mais ce que lui-même et les autres pensent qu'il est " (Ma vie). 
Les autres m'apparaissent important pour la cerner car la construction de la persona ne se structure finalement que lorsque l'individu se confronte à l'autre. Et c'est aussi le regard "de et vers" l'autre qui peut nous en révéler la nature singulière.

Tentative de définition de la persona

Ce thème de la persona , en apparence simple à cerner, est en réalité bien délicat à appréhender dans sa teneur réelle, pour deux raisons :
  1. Jung, qui a édifié ce concept assez tôt, peu de temps après la rupture avec Freud, va le développer, à la marge, dans plusieurs ouvrages avant de finalement ne plus du tout le citer, au profit de l'Anima et Animus qui deviendra son thème de prédilection.
  2. La Persona ne répond pas précisément à la nature d'un archétype, ni à celle d'un élément personnel. Qualifier la persona comme archétype est la confusion classique entre l'archétype et la représentation archétypale.
La persona est en fait un attribut du "moi" au service de processus archétypiques.


Persona à la frontière 
de la conscience et de l'inconscient

La persona est souvent représentée comme un simple masque, interface vital de l'individu face aux autres, au groupe, à la société. 

Pour simplifier, disons que c'est la face éclairée et visible de notre être "sociabilisé"..
Quels sont nos dispositions intérieures et que montrons nous, seuls à la maison, entre amis, avec les collègues, avec notre partenaire de vie, avec les personnes en qui nous reconnaissons une autorité, etc. ?
Une rapide introspection, honnête, nous révèle une palette variée d'attitudes, plus ou moins naturelles. 
Serions nous schizophrènes ?
Evidemment non.

La Persona témoigne de la façon dont le moi vit ses tensions relationnelles !

L'ombre non int
égrée, les failles narcissiques, les complexes autonomes, les conflits des opposés, viennent buter contre elle ou s'en saisir. Elle impose le personnage qu'elle joue à son insu, sacrifiant le moi réel qu'elle croit représenter.  
En cela, finalement, la persona serait alors la fonction qui permettrait au moi de se présenter aux objets externes et d'entrer en relation avec eux, tout en tenant compte de ses objets internes.

La juste place de la Persona

La persona est indispensable ! 
Sans elle, nous sommes d'une grande vulnérabilité et totalement inadapté sur un plan social.
Le danger classique est de s'identifier, tout entier, à elle
C'est un cas assez classique et très confortable que d'accepter comme "soi fini" cette "construction sociale". Ce faisant, nous dénions notre nature profonde, réelle, authentique, qui saura, de gré ou de force, remonter à la surface. 
Dans le champ de la psyché, toute forme d'illusion, entretenue ou spontanée, consciente ou non, créée un point de rupture dans l'écoulement de la libido, qui doit être résolu à un moment ou un autre.
La considération, en conscience, des manifestations de la persona est donc un des outils majeurs dans la voie de l'individuation.


Le travail avec la Persona

Le travail laborieux qui permet la différenciation, opère selon plusieurs phases :
  1. la "re-connaissance" des manifestations de la persona en fonction des circonstances,
  2. l'identification de ce qui en est à la source (pourquoi telle attitude avec telle personne ?),
  3. Cette identification, prémisse de la différenciation, va finalement "consteller" des contenus des profondeurs comme l'Anima/us.
C'est donc un travail aussi essentiel, et très souvent parallèle, à celui que l'on opère sur l'Ombre.

Tout comme la persona est la fonction de relation du moi aux objets externes, l'anima/us est la fonction de relation aux objets internes. Elles ont l'une vis-à-vis de l'autre un rapport de complémentarité.
L'identification du moi à l'une ou l'autre fonction maintient "l'autre" dans l'inconscient.

Le moi, en tant que porteur du masque, ne doit pas oublier l'importance de la face interne.

Il est tellement aisé de s'identifier à celle qui est la plus sollicitée par le collectif.
Dans le processus d'individuation, il y a comme un "quelque chose " qui rend le masque de plus en plus léger : les traits externes deviennent toujours plus homologues à ceux de l'intérieur.
Le masque deviendra plus léger et plus élastique, par conséquent moins rigide, plus facile à endosser, et à porter avec naturel parmi les autres.
Il deviendra en fait une véritable protection dans toutes les circonstances de la vie, sans jamais empêcher les principes de vie de s'exprimer.

Les archétypes

samedi 31 juillet 2021

Jung et l'alchimie - Gérard Dorn


Figuration des 3 phases de l'alchimie - Œuvre au noir, au blanc, au rouge

L'heure est à l'alchimie, en témoignent les instructifs billets du blog de notre amie Ariaga sur le pavé Psychologie et alchimie de Jung (Voir ici notamment ).
L'histoire qui mena notre psychologue zurichois à étudier de très près cet "art royal" mérite un article entier, mais il convient d'évoquer le personnage qui l'y a mené  et qui est abondamment mentionné dans son opus Mysterium conjonctionis (VI, La conjonction) : Gérard Dorn.

Biographie succincte

D'origine belge et mort en Allemagne, autour de 1584 à 54 ans, on a peu de trace historique sur la vie de cet homme de la renaissance. Son œuvre et, surtout, son influence sur l'art de l'alchimie, traversèrent les siècles,  Probablement l'un des premiers promoteurs du grand Paracelse (1493-1541), et contribua, par ses traductions, à la diffusion de la pensée paracelsienne dans les pays non germanophones. Il rédigera même des réponses aux accusations d'hérésie portées sur son Maître, témoignant de son profond attachement.
C'est par l'intermédiaire d'un autre disciple de Paracelse, Adam Bodenstein (1528-1577) -inconnu de la postérité car n'ayant jamais publié sous son nom- chez qui il étudia dans sa jeunesse, que sa vocation alchimique prit racine.

Pensée et philosophie

Au risque de l'approximation, tentons d'être concis.
S'il fut ardent défenseur de Paracelse, c'est principalement l'intégration des "valeurs christiques" dans le travail alchimique qui intéressa Dorn.
Sur ce principe qu'il place au-dessus des autres,  il portait, assez naturellement, un regard critique sur le travail en laboratoire le jugeant même inefficace sans un travail intérieur préalable menant à la disposition du véritable adepte. Ainsi, il fut le précurseur de ce que l'on nomma ensuite "l'alchimie spirituelle", cette quête intérieure qu'il définissait non pas comme la rédemption de Dieu en l'homme mais comme la rédemption de Dieu par l'homme.
Propos éminemment hérétiques pour l'époque. 
Cette proposition est évidemment des plus pertinentes dans le cadre de la pensée de Jung. 

Eléazar, maître de Flamel

Dorn et Jung

Lors de son voyage en Inde, en 1936, Jung frôla la mort à cause d'une dysenterie sévère et fit, dans un état comateux, une série de rêves et de crises délirantes ayant pour thème le Saint Graal. Cette période marqua définitivement un tournant dans son approche du Soi et de l'individuation.
Infatigable chercher, travailleur acharné, Jung avait emmené dans ses bagages, presque par curiosité, le Theatrum Chemicum, plus important recueil d'alchimie de Gérard Dorn. 

Cet ouvrage fut à l'origine d'une étape décisive dans l'orientation de Jung,  et c'est probablement le plus mentionné dans toutes ses études sur l'alchimie.

La voie royale

Comme figuré symboliquement sur l'image de Eléazar au dessus, il existe deux voies principales de "réalisation alchimique", la voie humide, lente, plus sure, constituées de distillations successives et la voie sèche, rapide, plus périlleuse, à base de bave de dragon, sel igné, feux mercuriels.
Jung s'intéressera à la proposition d'une "nouvelle voie", initiée par Dorn, la voie royale, s'appuyant sur les principes fondamentaux des deux autres mais centrant "l'opératif" au sein de la psyché humaine, lieu de rencontre et d'union de la matière et de l'esprit.
Il est important de noter que le concept d'Unus Mundus (monde sous-jacent et unifiant esprit et matière) créé par Dorn, sera repris par Jung, objet d'échanges épistolaires passionnants et passionnés avec Wolfgang Pauli (1900-1958), l'un des pères fondateurs de la physique quantique.

"De pierres mortes, transformez-vous en pierres philosophales vivantes. "
Theatrum chemicum, Gérard Dorn, 1602


vendredi 28 mai 2021

Jung et la solitude


Dans cet extrait, encore une fois, Jung écrit à "mot couvert" et, probablement, ne souhaite t'il pas en "exprimer trop" sur le sujet...celui qui saisit les principes de Vie, qui les reçoit et expérimente, singulièrement, franchit le seuil de l'indicible.
La solitude inhérente à l'IN (UN)-dividuation est bien en lien avec la co-nnaissance que chacun doit faire émerger personnellement.
"Enfant, je me sentais solitaire, et je le suis encore aujourd’hui, car je sais et dois mentionner des choses que les autres, à ce qu’il semble, ne connaissent pas ou ne veulent pas connaître.
La solitude ne naît point de ce que l’on n’est pas entouré d’êtres, mais bien plus de ce que l’on ne peut leur communiquer les choses qui vous paraissent importantes, ou de ce que l’on trouve valables des pensées qui semblent improbables aux autres.
Ma solitude commença avec l’expérience vécue de mes rêves précoces et atteignit son apogée à l’époque où je me confrontais avec l’inconscient. Quand un homme en sait plus long que les autres, il devient solitaire.
Mais la solitude n’est pas nécessairement en opposition à la communauté, car nul ne ressent plus profondément la communauté que le solitaire ; et la communauté ne fleurit que là où chacun se rappelle sa nature et ne s’identifie pas aux autres."
Extrait de Ma vie

mercredi 19 mai 2021

La solitude partagée...

Dans ce que j’appellerais ma quête de sens, de vérité intérieure, la recherche de mon mythe personnel selon Jung, j'ai eu la chance de croiser des personnes animées par le même "feu". 
Certains ont cheminé avec moi puis disparu, d'autres sont devenus des amis. Tous ont contribué à qui je suis aujourd'hui, et je pense pouvoir affirmer que tous vivent dans une certaine solitude assumée...solitude inhérente à cette recherche du rapport singulier à la Vie. 
J'ai fini par définir le lien, aussi fort qu'intime, qui unit nos solitudes, une affinité élective.

Cette quête défait, très naturellement, tout ce qui n'obéit pas au domaine de l'authenticité. 
Consensus, compromis, conventions de toutes sortes s'effondrent...
Il ne s'agit pas d'anarchie mais, bien au contraire, d'une "mise en ordre".

Lorsque l'on refuse de croire les apparences, d'adhérer aux pensées dominantes, de se soumettre à la doxa, deux "mouvements contradictoires" s'imposent alors à nous : 
1- La sensation d'une plénitude, d'une satisfaction intérieure, d'une réponse (provisoire ?) acquise. Un autre regard sur le monde et les autres s'édifie.
2- Simultanément, surgissent une hostilité voire un rejet de certaines personnes, parfois même proches ou "amis". Processus notoire, l'inconnu et l'incompréhension réveillent l'instinct de division et de séparation.


Ce chemin, cet engagement de vie, ne doit pourtant pas conduire à une indifférence face au "groupe", écueil fréquent, menant soit à un isolement mortifère (seul contre le monde) soit à une inflation égotique (seul digne de ce monde). 
S'il convient de se distancier de la "meute" et de son influence, ce n'est pas pour la condamner. 
Il s'agit d'établir la compréhension véritable de l'autre et de rétablir une communication authentique, expurgée de nos projections. Ce nouveau rapport à l'autre est le fruit de notre propre dialogue intérieur.

Formulé par Jung, démontré par la clinique et éprouvé par ceux qui œuvrent pour leur "accomplissement intérieur", le travail sur la psyché dépasse, finalement, le cadre du patrimoine personnel. 
Se révèle, par miroitements toujours inattendus, une part de l'humanité, un fragment "d'universel éternel", scintillements et reflets de ces fameux archétypes...
Inscrite dans "la hiérarchie naturelle des choses", cette profondeur ne sera touchée qu'une fois atteinte puis dépassée la crainte de l'affrontement de ses ténèbres personnels.
Cette lutte personnelle n'est pourtant jamais aboutie, les premières noirceurs font  toujours place à d'autres. Jung évoque un processus d'individuation, certainement pas une étape ou un stade, mais bien un phénomène dynamique discontinu.
Notre conscience ne se crée pas elle-même… Elle est comme un enfant qui naît quotidiennement du sein maternel de l'inconscient.
Symbolique de l'esprit, p.465
Le courtois comptable réalise soudainement que des pulsions inavouables l'habitent, la gentille vétérinaire découvre au fond d'elle des envies sadiques et morbides qui la bousculent, l'érudit polyglotte est confronté à des besoins d'archaïsme et de sauvagerie.
Pourquoi parfois, en moi, surgit ce qui me bouscule ?


Le jugement est une capacité innée de l'humain. Jung l'a même érigé comme un des quatre constituants de la boussole psychique.
Mais le jugement ne doit jamais devenir condamnation qui est là, un choix (écueil ?) personnel.
Quand je juge autrui, je réalise, si la première "ouverture de conscience" est accomplie, que je me juge moi-même. J'abrite les tendances coupables que je suis en train de juger. Qu'il est douloureux mais libérateur d'accepter nos imperfections, nos failles....cette acceptation, si elle est sincère et assumée est une bénédiction !
Le contraire,  s'idéaliser soi-même, idéaliser son clan ou sa nation, a pour conséquence de rejeter le mal sur l'extérieur. 
"L'ennemi est tellement bête, qu'il croit que c'est nous, l'ennemi" Desproges.
Accepter l'autre dans sa différence, c'est se libérer des projections et accéder à la plus belle faculté de l'âme, l'altérité (voir ici).

Graduellement, un autre monde s'offre à nous...non, plus précisément, nous accueillons une autre vision du monde. 

Nous accepter dans notre "caractère d'imperfection" (au regard de la totalité de notre être qui nous attend) aide alors à accepter les obstacles et échecs dans notre vie. Ils deviennent de véritables opportunités pour la transformation intérieure; ils nous poussent à l'humilité et au lâcher-prise.

La vraie souffrance naît de notre résistance au changement, pas de nos échecs

« Dans l’obstacle se trouve le chemin » 



Maj du billet du 20/01/2012

vendredi 29 janvier 2021

L'amour dans l'oeuvre jungienne

Une fois n'est pas coutume, nous souhaiterions apporté un coup de projecteur sur l'association Marie-Louise Von Franz & Carl Gustav Jung

Particulièrement dynamique et multipliant les initiatives malgré la période compliquée, l'association nous propose, pour l'année 2021, un programme ambitieux, une série d'évènements composés de  conférences, d'interludes artistiques, ateliers d'exercices, avec comme thème principal "l'amour dans l’œuvre jungienne".

Lien pour en savoir plus


Jung et l'Amour
Par Reine-Marie Halbout, entretien filmé disponible dès le 12 février 2021 18h00 sur notre Online TV pour une durée de deux mois
Le thème de l’amour considéré comme un des fils conducteurs de l’histoire de la vie et de la pensée de Carl Gustav Jung...

La pulsion du Mariage intérieur
9 avril 2021 à 19h30, par Pierre Trigano
L’archétype du Soi vu sous l'angle du « mariage intérieur », telle une pulsion qui nous traverse et vise à se réaliser au cœur de notre vie psychologique.

Tristan et Yseult : une explication archétypique de nos histoires d'amour
11 juin 2021 à 19h30, par Leonardo Hincapié
Une interprétation originale de la légende médiévale de Tristan et Yseult mise en perspective avec la psychologie analytique...

Journée expérientielle
2 octobre 2021 à 9h30, par Csilla Kemenczei, Chantal Delacotte et Marco Zulian
Première partie : Judas, ou l'Amour et son Ombre. Deuxième partie : Le conte d’« Éros et Psyché » : un atelier d’écriture enchantée...

L’Amour, essence et sens de l’alchimie du « Deux »
Dernier trimestre 2021 (date à préciser), par Carole Sédillot et Matthieu Mares
De la dépendance à la transcendance des principes Féminin et Masculin...

mercredi 27 janvier 2021

Les Cahiers Noirs de Jung


Premier cahier noir de 1913 - Musée Guimet 2011

Octobre 2009, la Foundation of the Works of C.G. Jung, sous la direction de Sonu Shamdasani stupéfiait la communauté des "amis de Jung" en éditant le Livre Rouge.

Octobre 2020, la même équipe nous offre encore une superbe découverte par l'édition en facsimilé des cahiers noirs de Jung.

Anglais pour le moment

Pas d'annonce d'autres traductions, notamment française, à ce jour, mais si on se fie au succès du Livre rouge poussant à la version française, on est en droit d'imaginer des cahiers noirs dans la langue de Molière d'ici un an ou deux.

Nature des cahiers


Comme nous l'avions évoqué lors de billet sur le Livre Rouge, une partie importante du contenu de ces cahiers ont servi pour la rédaction, les faisant qualifier un peu rapidement de "brouillons du Livre Rouge". 

Au moment de la rupture déclarée et "officielle" avec Freud, en novembre 1913, Jung reprend son Cahier Noir, qui en fait est un cahier en cuir marron, dans lequel bien des années avant il avait l’habitude de noter ses rêves mais qu’il avait mis de côté en 1902 au moment de ses fiançailles avec Emma. Il reprend alors le dernier Cahier et commence par noter ses pensées, ses images, ou bien ses états d’esprit sous forme de métaphores. Il écrit aussi ses rêves et il essaie de les analyser.

3 ans plus tard, en 1916, il commencera à rédiger son Livre Rouge, y apportant dessins, symboles, calligraphie.

Pour autant, il n'abandonna pas ses cahiers noirs et en remplit plusieurs au fil des décennies (du 12 novembre 1912 jusqu'au 15 décembre 1932).


Présentation sur l'Espace Francophone Jungien

En attendant un billet plus fourni une fois la lecture avancée, vous trouverez sur ce lien une présentation un peu plus complète de l'édition.