dimanche 27 novembre 2011

La réalité de l'âme - Cazenave

 Un ouvrage de plus de Michel Cazenave, le dernier édité à ce jour. Jung revisité, rien de moins ! Si ce n'était pas de cet auteur, j'aurais peut être même souri devant l'impudence d'un tel programme. Pourtant, à mes yeux, Cazenave est le plus grand chercheur jungien français. Et par chercheur, j'entends "celui qui est finalement au bout du bout des connaissances mais ne veut pas s'arrêter" pour reprendre Roland Cahen. Dans cet ouvrage, qui se veut avant tout une approche en  profondeur de l'œuvre de Jung, on se plaît en effet à découvrir des facettes inexplorées, ou plutôt des lumières sont braquées vers les "coins discrets", en marge des grandes notions.

 L'auteur 

Qui s'intéresse à Jung ne peut ignorer le nom de Cazenave. Ce (bientôt) septuagénaire se définit lui-même comme philosophe, poète, essayiste...gaulliste de gauche. Un personnage coloré et assumé en somme
Il a produit pendant plus de dix ans, l'excellente émission "Les vivants et les Dieux" sur France culture. Pour ce qui nous intéresse, disons simplement qu'il a présidé le Groupe d'études Jung de Paris, fondé le cercle de réflexion français autour de l'oeuvre de Jung et dirige la traduction de l'oeuvre intégrale de Jung chez Albin Michel.

Sommaire

Page 9     Introduction à Jung
Page 15   Jung, aujourd'hui, plus que jamais
I - Ce qu'emporte la notion d'âme
Page 21   Structure et dynamique de l'inconscient
Page 41   Manifestations de l'inconscient
Page 55   L'individuation existait-elle avant Jung ?
Page 97   Jung et le tiers inclus
II - Questions connexes
Page 103  Jung et la modernité
Page 109  L'Eros ou le désir de l'Un
Page 115  L'imagination, puissance de l'âme
Page 123  Temps de l'homme, temps de l'âme
Page 129  Jung et le cinéma
III Introduction à Jung
Page 135 et jusqu'à la fin : diverses préfaces de Cazenave sur les traductions des oeuvres.


Avis personnel 

Ce livre n'est pas adapté pour qui veut débuter ou découvrir l'œuvre de Jung...sauf solide formation littéraire ou philosophique. Mais quel régal pour celui qui est déjà rentré dans l'univers de la psychologie des profondeurs ! car il s'agit bien de revisiter, d'adopter l’exercice délicat de sortir des sentiers mille fois battus, des lieux communs et idées prémâchées. A la lumière de la grande culture de l'auteur (manifestement platonicien de cœur) et de son ouverture d'esprit (parfaite connaissance de Freud et Lacan), on découvre et découvre encore de nouvelles implications et intuitions à la psychologie des profondeurs. 
Comme à son habitude, la plume est précise mais la profondeur du raisonnement assez complexe...lecture attentive requise.
Le tome 2 paraîtra sous peu et je serai sans nul doute parmi ses lecteurs.

Quelques extraits

"Non qu'il refuse toute l'importance de la sexualité, comme on l'a trop souvent prétendu : mais il considère que l'humain est conduit par deux daïmons (au sens grec de ce terme : c'est-à-dire des puissances intermédiaires aux pouvoirs du sacré) - deux daï­mons au départ antithétiques, mais qu'il s'agit de réconcilier et de conjoindre dans une conjonction des opposés : la sexualité et la spiritualité, dont on ne peut, pour aucune, oublier toute l'impor­tance qu'elle a pour nous sans nous blesser profondément."

"…ce qu'il affirme en revanche, c'est simplement que, devant le fondement ultime de toutes choses, il ne peut pas y avoir de philosophie, de théologie, de métaphysique positives qui, du même mouvement qu'elles définiraient le fondement, se l'approprieraient de fait et s'y affirmeraient supérieures. Voilà cette « arrogance » que dénonce Jung, cette puérilité tout autant, cette pusillanimité de l'esprit qui « fait croire aux poissons qu'ils contiennent la mer ». La métaphysique sous-jacente qui est celle de Jung relève au contraire, à l'évidence, d'un ordre négatif, c'est-à-dire qu'elle fait partie de celles qui reconnaissent qu'elles ne peuvent en aucun cas parler de leurs propres conditions de possibilité, de celles qui se font un devoir éthique de poser, et par le fait même, de respecter leurs limites -dans une contrainte d'in-connaissance qui les légitime par ailleurs."

"Comme le signifient les anciens mystères grecs, tenir les lèvres fermées, cela signifie se taire, parce que ce que l'on a éprouvé, on ne peut rien en trans­mettre par le truchement du langage, c'est de l'ordre de l'indicible, c'est au-delà du discours et de ses structures logiques - ce qui impose du même coup le silence des initiés vis-à-vis de tous ceux qui n'en ont pas eu l'expérience."


"Si l'on entend en effet la sexualité sous le chef de la pulsion, et dans la catégorie de la libido de définition freudienne, il est vrai qu'elle manque singulièrement dans presque tout le travail de Jung : il sait bien sûr ce que c'est mais, d'une certaine façon, on peut dire que cela ne l'intéresse pas réellement. 
Qu'est-ce qu'on signifie par ces mots ? 
Sinon que, de la même manière que Jung se détache des topiques et de la dynamique freudiennes - non pas tant parce qu'il propose une autre interprétation de la même réalité incons­ciente, mais parce qu'il s'intéresse en fait à une autre réalité — il conçoit au principe les figures sexuelles comme relevant « par essence » d'un processus religieux où se fonde la psyché, et réin­tègre par là même toute sexualité telle qu'elle est, à un espace érotique qui est d'abord celui de l'âme."

jeudi 3 novembre 2011

Le symbole selon Jung - Une approche spécifique

Systema Mundi Totius - Jung
"Voir dans l'expression symbolique une analogie ou une désignation abrégée d’un fait  connu, c'est faire de la sémiologie et avoir la meilleure formule possible d’une chose relativement peu connu que l'on ne saurait donc tout d'abord désigné de façon plus clair ou plus caractéristique, c'est faire du symbolisme."

Jung, Types psychologiques
 
 
Le symbole, un thème communément abordé dans l’œuvre de Jung et qui mérite que l'on s'y attarde. 
Tentons un "encadrement" de son acception dans la psychologie jungienne.

Le rôle, l'usage et la fonction du symbole dans la psyché humaine feront l'objet d'un approfondissement ultérieur.

"La parole, signe et symbole, sort par la bouche. Si la parole est un signe, elle ne signifie rien. Mais si elle est un symbole, alors elle signifie tout…Le symbole est cette parole qui sort par la bouche, qu’on ne prononce pas, mais qui remonte des profondeurs du Soi comme une parole de force et de détresse et qui se pose sur la langue inopinément. Il s’agit d’une parole étonnante et qui semble peut être déraisonnable, mais on l’identifie comme le symbole au fait qu’elle est étrangère à l’esprit conscient. Lorsqu’on accepte le symbole, c’est comme si on ouvrait une porte qui mène dans une nouvelle pièce dont on ignorait auparavant l’existence."
Jung, Livre Rouge, p311
 Ce que n'est pas le symbole

Approche apophatique (du grec apophasis: négation), ou démarche réductrice pour les philosophes, clin d’œil en allusion à la théologie d'Eckhart, que Jung appréciait tant.

Le symbole n'est pas un signe. 

Pour autant, on peut distinguer le signe arbitraire (qui renvoie à une réalité signifiée) et le signe allégorique qui renvoie à une réalité difficile à "présenter".
Aucun n'est un symbole !

Le symbole au sens jungien se distingue notablement des notions de symbole classiques :
  • ce n'est pas le symbole "linguistique" qui se distancie des choses pour les représenter,
  • ce n'est pas le symbole des "initiés", qu'ils soient religieux ou de la "Tradition", qui est en fait un signe avec une signification ou ensemble de significations secrètes. (A noter quelques rares exceptions que nous ne traiterons pas ici)
Ces deux symboles se rejoignent dans le fait d'occulter le sujet "percevant" dans le processus de création du sens. Ils sont liés, directement ou indirectement à un objet, une réalité "extérieure".



Le symbole dans la dynamique psychique

Selon Jung, l’expression symbolique exprime le mieux possible un état de fait complexe et qui n’est pas encore clairement saisi par la conscience alors que le signe désigne toujours quelque chose de connu.
Le symbole est donc l'expérience personnelle de surgissement de sens dans la conscience. 
Par nature, cela ne peut exister que sur un plan subjectif et l'on perçoit alors la force de l'imaginal dans ce processus.

Pour être un peu simpliste, on peut dire que la sémiotique (théorie des signes) tend à réunir la pluralité en unité alors que le symbole accepte, invite, considère la pluralité sous l'éclairage d'une conscience.

Avec le symbole, nous sommes aux portes du sacré. 
 
"l’attitude symbolique résulte d’une certaine conception de la vie qui attribue un sens à tout évènement grand ou petit, et donne à ce sens plus de valeur qu’au fait lui-même "
Jung, L'homme et ses symboles
 
Le symbole possède d'autres spécificités :
  • s'ils sont vécus par le sujet dans son intériorité, certains sont des représentations collectives,
  • le symbole est vivant en ce sens qu'il n'est jamais figé et surtout le lien entre les symboles et l'homme évolue depuis la nuit des temps.
En réalité, les hommes d'autrefois ne réfléchissaient pas sur leurs symboles. Ils vivaient et étaient inconsciemment animés par leur signification.
Jung, L'homme et ses symboles
Pour une approfondissement, je suggère de consulter l'ouvrage collectif "L'homme et ses symboles".

mardi 1 novembre 2011

Rob Jullien - Chercheur d'absolu

    Il est des artistes hors normes, non par l'excentricité apparente de leurs oeuvres, mais par leur autonomie créatrice, affranchie de toutes considérations extérieures et centrée viscéralement sur la mise en forme de "chants des profondeurs". Rob Jullien est de cette essence si rare et donc forcément considéré comme marginal de son vivant, adulé à sa mort comme il se doit...

Niché dans un ancien moulin à huile du Var, l'homme a passé une partie de sa vie à peindre, sculpter et donner une vie, année après année, à son atypique habitation qui est désormais un musée. Je n'ai pas eu la chance de le visiter mais j'ai découvert Jullien dans un petit reportage de 15 minutes qui m'a littéralement absorbé, un peu comme une connexion provisoire entre deux âmes. Il a rédigé un livre autobiographique, malheureusement épuisé, dont je parlerai surement dans un autre billet...on y découvre un mystique contemporain, un religieux au sens véritablement jungien du terme, qui a écouté son âme jusqu'à la limite. Son moulin est devenu son Bollingen, son Livre Rouge, remarquable, vibrant...

Je laisse le soin aux lecteurs d'en découvrir plus, la force d'internet est de mettre le monde sous ses yeux...et mes durables contrariétés techniques du moment ne m'offrent qu'une petite plage pour poser ces quelques mots.

Quelques oeuvres