mardi 20 février 2024

L'individuation...le chemin de croix [1]

J'entends ou je lis parfois des choses sur le processus d'individuation qui me gênent. 
Il est question d'extase, d'accomplissement naturel, de plénitude acquise, de joie dans la réalisation, etc. 
Certes, mais n'est ce pas un peu oublier que ce chemin est avant tout, par sa nature propre, parsemé des épines les plus féroces, des épreuves les plus redoutables, d'inévitables souffrances et doutes, et de véritables sacrifices (au sens étymologique de sacrificare, "fait de rendre sacré").
"la libido enlevée à la mère, devient menaçante comme un serpent, symbole de l'angoisse de mort, car il faut que meure la relation avec la mère et de cela on en meurt presque soi-même."
Jung, Métamorphose de l'âme... p 515
"Le monde apparaît quand l'homme le découvre. Or il ne le découvre qu'au moment où il sacrifie son enveloppement dans la mère originelle, autrement dit l'état inconscient du commencement".  
Jung, ibid, p677
Selon les théories actuelles, le bébé (voire même le fœtus) reçoit ce qui "est" (réalité interne et externe), qui va alors "déranger" un équilibre initial, comme un doigt va marquer la cire, marquant définitivement cette "matrice indifférenciée"...ce creux dans la cire peut être associé à la conscience, la cire, matière figeant ce creux , serait le Moi (notons que pour Jung, le Moi est un complexe, certes particulier, mais complexe psychique).
« En dépit du caractère relativement inconnu et inconscient de ses fondements, le moi est un facteur de conscience privilégié. Il est même, sur le plan empirique, une acquisition de l’existence individuelle. Il résulte, semble t-il, du choc du facteur somatique et de l’environnement et, une fois établi comme sujet, il se développe à partir d’autres chocs avec l’environnement aussi bien qu’avec le monde intérieur. »
Jung, Aïon, p 17
« Il forme en quelque sorte le centre du champ de conscience et, en tant que celui-ci embrasse la personnalité empirique, le Moi est le sujet de tous les actes conscients personnels. La relation d’un contenu psychique avec le Moi constitue le critère de la conscience, car un contenu ne peut être conscient s’il n’est pas représenté au sujet. » 
Jung, ibid, p18
La conscience est une mémoire active qui, selon  des interactions passées, va produire de la réaction, de l'évaluation, du sens au mieux... 
En contrepartie, la conscience va "alimenter" le Moi pour l'enrichir. Comme le précise Jung, le Moi est le centre de la conscience, il en est même la matrice originelle (et une instance autonome mais là n'est pas le sujet du billet).
Cette relation complexe doit poursuivre son processus et on comprend aisément que la nature même du Moi est de maintenir ses acquis en place et sa relation privilégiée avec son "ouvrier", la conscience. 



Selon cette dynamique relationnelle et la nature du Moi, on comprend que le changement est une source de stress car le Moi est le plus radical conservateur qui soit...il s'accroche à ses acquis (telle personne doit se comporter de telle manière, telle attitude doit être adoptée dans telle situation, etc.). 
Face à tout potentiel de modification, de transformation, aux éléments extérieurs de mutation, le Moi développe instinctivement le rejet, la "xénophobie", repoussant systématiquement ce qui ne répond pas au "préétabli" (les creux initiaux dans la cire). 
A maturité psychique, un constat dramatique s'impose : ce qui nous a permis de survivre nous empêche maintenant de vivre !


Dans le processus d'individuation, le retrait des projections (voir ici ) vide le Moi de sa substance, on est plus proche de la crucifixion que de l'extase. Le pôle contraire, jusqu'alors refoulé et inconnu, doit être intégré et cela ne peut se comprendre qu'après coup...les périodes de trouble, de doute et d'angoisse sont incontournables. 
Un sacrifice s'impose : celui de la position unilatérale initiale confondue avec l'unité de l'être.

La fameuse mise en tension des opposés (notion complexe, retenons  , pour le moment, que le couple d'opposés central est conscience / inconscient) ne conduit pas à un idyllique équilibre du "juste milieu" mais presque toujours à un "abaissement". Lorsque survient le fameux troisième terme (le produit de la tension des opposés, ni fusion, ni confusion pour autant), admis, le plus souvent, de "force" par le Moi, les idéaux, qui sont toujours des valeurs «hautes», s'effondrent et perdent tout leur prestige. 
Qui peut pleinement réaliser ce que signifie l'effondrement du monde de ses idéaux et de la souffrance qui l'accompagne ?

Pour reprendre une jolie métaphore, dont je ne me souviens malheureusement pas de la source, "il semble que, sur cette voie de l'individuation, plus que partout ailleurs, noblesse oblige. Tout se passe comme si, sur cette voie, les dieux psychologiques, une fois alertés, devenaient jaloux."

Ce billet n'est pas teinté de pessimisme mais se veut réaliste.  
Pour une note positive, j'invite le lecteur à revenir à la fin de ce billet.

On pourra gloser pendant des heures, il est dans la nature de l'humain de se figer pour se construire (édification de l'ego) avec le devoir de tout démolir dans la foulée (individuation, changement de centre)...et cela coûte souvent ce qu'il y a de plus cher !

mardi 13 février 2024

A mon ami Michel...


Ce billet est atypique puisqu'il ne traite pas de psychologie analytique...bien que nous restions dans le domaine de l'esprit humain et de ses défaillances inhérentes.

En 2011, je souhaitais donner un un coup de pouce à un livre, traitant de la dépendance et du processus d'addiction, principalement alcoolique. Aujourd'hui, j'aimerais honorer sa mémoire, son travail, son engagement...
Une approche unique car hors des sentiers battus, des conventions habituelles et des dogmes médicaux ancrés autour de la maladie à l'époque ; l'auteur Michel Facon (1941-2011) est à l'origine du modèle de PNL (Programmation Neuro Linguistique) "alcoolisme" et a contribué à l'élaboration du programme du centre de cure Alpha à Royan (référence nationale, que certains connaissent peut être) où il a travaillé et accompagné des centaines de malades vers l'abstinence.

Le corps médical accepte très mal la remise en cause quand elle ne vient pas d'un de ses pairs et les éditeurs très frileux sur certains sujets, le frère de Michel n'a pas eu d'autres moyens que de passer par une auto édition (lulu.com pour le citer)...pour tenir une promesse après sa mort.

Une amie très proche a été littéralement sauvée en passant à Alpha, et elle est allée chercher Michel jusqu'au Pérou où, solitaire dans l'âme, il avait trouvé refuge.
J'ai ainsi eu la chance de  le rencontrer, en 2009, et nous avons vécu une profonde mais trop courte histoire d'amitié qui tenait plus de "l'affinité spirituelle" à défaut de mot, que d'autre chose. J'ai découvert le vrai sens du mot humanisme avec lui.

Michel nous a quitté il y a bientôt 13 ans, il a marqué ma vie, en quelques rencontres, à tout jamais...
Je ne touche pas un centime d'euro sur le livre et la seule volonté est de faire découvrir cette approche atypique et basée exclusivement sur de l'empirisme clinique...un homme au service d'autres hommes, cela ne peut qu'évoquer de belles images aux lecteurs de ce blog.

Vous avez un aperçu et un témoignage introductif en page 8 de ce lien.

dimanche 11 février 2024

Le rêve par Michel Jouvet

Au gré d'une lecture, je découvre la proposition de Michel Jouvet sur la fonction des rêves et je suis immédiatement frappé par la similitude avec les théories jungiennes. Depuis, je me suis intéressé au personnage fascinant et passionné, reconnu par ses pairs comme l'un des plus grands neurobiologistes, spécialiste du sommeil et surtout "découvreur" officiel du sommeil paradoxal. J'invite le lecteur à aller fouiller dans ses ouvrages éclairants et accessibles pour approfondir les lignes au dessous (sa bibliographie).


Tout d'abord, gardons à l'esprit que nous sommes ici en territoire biologique donc ancré au soma et même si les théories de Jouvet flirtent souvent avec le psychique, les approches conservent une limite rationnelle compréhensible mais, selon moi, lacunaire.

Constats préliminaires :

- le sommeil est découpé en cycle d'environ 90 minutes et 20 minutes de ce temps est consacré au sommeil paradoxal. Ces cycles sont "universels", commun aux hommes de toutes origines ethniques et sociales,
- le sommeil paradoxal est nommé ainsi car l'activité cérébrale est la plus proche de celle de l'éveil, d'où le paradoxe,
- ce sommeil paradoxal s'accompagne de plus d'une accélération cardiaque et de mouvements oculaires rapides. Ces "signes" semblent corrélés avec l'intensité onirique.
Il apparaît que le rêve est donc "programmé" dans la nature biologique de l'homme. Reste à définir alors sa nature et sa fonction....


Nature du rêve

Jouvet postule le fait que le rêve est le troisième état du cerveau...ni en sommeil, ni en éveil, il répond à un autre mode de fonctionnement (anecdote intéressante, cette intuition lui est venue suite à une lecture d'un passage des Upanishad). 
C'est à la fois simple et lourd d'implication. L'état de veille permet la vie sociale, l'état de sommeil permet la récupération physique et "l'intégration" intellectuelle...l'état de rêve devrait donc constituer une phase aussi fondamentale de la vie
Sur ce point, Jouvet affirme que l'homme peut vivre sans rêver, en étant privé de sommeil paradoxal...ce qui contredit quelque peu la fonction qu'il propose du rêve (nous allons l'aborder) et que je critique en établissant l'hypothèse que si le sommeil paradoxal semble nous indiquer l'état de rêve, rien ne nous dit que cet état peut se produire hors toute "lecture physique possible" (hypothèse en voie de confirmation par les dernières recherches) d'après ce que j'ai lu.

Fonction du rêve

Jouvet fait une proposition audacieux, qu'il argumente avec forts appuis cliniques et scientifiques qui me dépassent et dont je vais épargner le lecteur. 
Un indice quand même : ce sommeil paradoxal n'apparaît que chez les animaux dont le développement neuronal est limité (le capital de neurones est rapidement atteint dès le jeune âge). Les rêves seraient donc là pour compenser ce défaut de neurogenèse, afin d'harmoniser constamment la vie extérieure et l'attente, génétiquement programmé, de la vie intérieure...chaque individu répondrait donc à un développement qui lui est spécifique et inscrit dans son code génétique, le rêve lui permettant constamment d'ajuster les choses. Le rêve jouerait donc un rôle-clé dans le maintien de notre individualité psychologique.


Jung décrit le rêve comme porteur d'un dynamisme de changement intérieur, d'un processus de transformation de la personnalité présent dans l'inconscient humain. Quelle étrange similitude !
On pourrait aussi mentionner l'existence de l'inconscient collectif, la présence, dans le psychisme humain, de structures innées, les organisateurs inconscients, pouvant sur le plan psychique se comparer au code génétique sur le plan physique, constituent des facteurs d'auto-guérison, des forces de transformation présentes dans l'inconscient, visant à nous faire advenir à nous-mêmes.


J'ai le sentiment que, dans deux domaines spécifiques, la convergence de géniales intuitions est flagrante.

Pour finir, une interview de Jouvet, où tout bon amateur de psychanalyse tiquera à quelque reprise mais qu'importe, restons ouverts....

samedi 27 janvier 2024

Nietzsche - La volonté de puissance


Comme c'est le cas pour nombre de philosophes, la pensée de  Nietzsche est excessivement galvaudée de nos jours par manque d'étude et lecture, ne subsistent en général de que quelques lieux communs, sans fondement réel, son soi-disant athéisme (Dieu est mort !), sa notion si mal comprise de surhomme (Zarathoustra), etc
Eludons de fait, sa position politique surement désastreuse, restons dans le champ de "l'esprit"....

Ce n'est évidemment pas par hasard que j'ai choisi d'étudier cette œuvre, elle a beaucoup inspiré Jung qui, vision toute personnelle, semblait respecter sa profondeur tout en étant fasciné par l'application (implication, investissement) absolue de l'homme qui le mènera à la folie...il consacrera même un séminaire entier au Zarathoustra.

Clef de voûte de la pensée nietzschienne,
 la volonté de puissance

Le premier constat fondamental de Nietzsche : on ne peut évaluer la vie qu'en s'en extrayant (il faut être extérieur à un objet pour pouvoir l'évaluer), ce qui est impossible pour l'homme. De là, aucune transcendance n'a sa place car le monde est "créé" par l'homme.
Sur la vie et sa valeur ne peuvent exister que deux positions antagonistes, négation ou affirmation. Selon Nietzsche, la vie est une dynamique d'accroissement de l'être et sa négation est appelée survie (ou blocage de la dynamique d'accroissement).
Détail intéressant, car l'on peut faire le jonction avec la pensée de Jung, l'affirmation de la vie serait de l'ordre instinctuel et non réflexif, plutôt du domaine inconscient que de celui de l'intellect.

De là, celui qui accède à l'affirmation de la vie, dispose d'une faculté de croissance de soi en soi. Au contraire, celui qui survit est dans le maintien d'un niveau, se retrouve avec un "manque d'être" (=d'accroissement) qu'il cherchera toujours à combler...le don (celui qui possède de soi) et la demande (celui qui comble) positionne le fort et le faible.  
Contrairement à l'idée populaire, Nietzsche n'établit pas dans la domination de l'autre, l'attribut de force, mais dans la capacité à se transformer, à abandonner l'avant.


La différenciation permet l'établissement de valeur, l'accroissement de l'être (je me diffère de ce que j'étais,  de ce que je suis pour aller vers autre chose)...son opposé, qui finalement conduit à une uniformisation, c'est ce qu'il appellera le nihilisme.

Un deuxième constat fondamental arrive alors : les conditions favorables et défavorables à la vie sont toutes, de fait, issues de la vie même (il ne peut en être autrement puisqu'il rejette le transcendant). Ces deux oppositions apparentes sont des manifestations d'une union préalable qui est la vie...ainsi, la force d'union qui contient cette dualité est la volonté de puissance.
Dans le don, je suis animé par la volonté de dépenser de la puissance et dans la demande, celui d'en obtenir. Bien entendu, nous sommes là au cœur de l'être et le don et la demande ne sont pas transposables (quoi que) à ce que l'on vit au quotidien.

Le lecteur devrait pouvoir (s'il a eu le courage de venir jusqu'à cette ligne) percevoir les rapprochements possibles avec certains pans de la pensée de Jung...
A suivre donc.

Cheminer dans le laboratoire d'Ariaga :

jeudi 25 janvier 2024

Pélerin de Compostelle comme allégorie de l'individuation


Invitation au voyage

Le pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle remonte au X° siècle. La grande époque s'étend sur les XI° et XII° siècles. Durant un millénaire, les chemins de Saint Jacques de Compostelle ont été des grands lieux de passage et d'échange, ils sont imprégnés de toute notre culture. Deux autres routes sacrées, dans le monde chrétien, valaient toutes sortes de bénédictions et d'indulgences à quiconque les parcourait : c'était celle de Rome qui menait au tombeau de Saint Pierre, son symbole était une croix et c'était celle de Jérusalem qui menait au Saint Sépulcre du Christ, son symbole était les palmes qui saluèrent le Christ quand il entra dans la ville.
Un pèlerinage peut être abordé de différentes manières et chacun l'aborde avec la culture qui est la sienne, et avec sa propre problématique religieuse, sportive, culturelle, psychologique ou mystique. Mais un pèlerinage, c'est d'abord une quête, une aventure intérieure et personnelle. Chaque étape du chemin, comme chaque fait de l'existence, revêt une valeur initiatique qu'il importe de découvrir. Le pèlerinage est une épreuve de détachement - d'arrachement de la quotidienneté - qu'il importe de vivre en tant que telle, de manière à trouver un nouvel équilibre de vie, mieux, un nouvel art de vivre. C'est également, en ce sens, du fait de tout ce que l'on abandonne, un rite de purification. Et ce dont on se purifie, c'est essentiellement de la banalité qui étouffe la conscience sous les routines. L'illumination et la révélation sont la récompense promise au terme du voyage. Le pèlerin revenant de Compostelle est souvent représenté avec un livre ouvert, symbole de la connaissance révélée. C'est le troisième aspect du pèlerinage : la conquête d'un état nouveau.

Notre pèlerinage part du Puy en Velay, célèbre par sa Vierge noire, forme christianisée de l'ancienne déesse Isis qui parcourut toute la Terre à la recherche des débris du corps de son frère et époux Osiris. Isis est l'initiatrice, celle qui détient le secret de la vie, de la mort et de la résurrection ; la croix ansée est le symbole de sa puissance. Isis nous invite à rechercher, au cours de notre pérégrination, les vestiges d'une connaissance perdue ou voilée et à en réaliser une synthèse vivante. C'est à un éveil de conscience que nous sommes invités. La symbolique de la Vierge noire est identique : c'est la terre avant sa fécondation, celle qui doit enfanter, la mère des dieux. La Vierge noire désigne la terre primitive, la materia prima, celle que l'artiste alchimiste doit choisir pour sujet de son grand ouvrage, c'est-à-dire sa propre transmutation.
La Vierge est souvent représentée nimbée d'étoiles. Et l'étoile, c'est le sens de Compostelle : le champ de l'étoile ou encore celui qui a reçu ou qui possède l'étoile. Le chemin de Compostelle est appelé la "voie lactée" ou encore la route étoilée.
L'étoile, c'est le signe qui annonce la naissance du 'Sauveur' et montre le chemin jusqu'à lui, signe à prendre pour nous au sens figuré de signe annonciateur et prometteur d'une nouvelle naissance, d'une régénération. Le 'Sauveur' est le symbole de la conscience nouvelle, de l'Homme total. Jacques le Majeur, Saint Jacques ou Maître Jacques, est un disciple du Sauveur, il ne le quitte pas ; avec la calebasse, le bourdon bénit et la coquille, il possède les attributs nécessaires à l'enseignement caché des pèlerins du Grand Oeuvre. C'est le porteur de l'Esprit, le Pèlerin dans la Nature. Pour nous, c'est le guide intérieur et personnel qu'il importe de découvrir sur notre sentier. C'est l'intermédiaire qui peut rendre intelligible la révélation du silence. Il est ce témoin immobile qui, en chacun de nous, regarde notre nature agir. C'est l'état intérieur dans lequel on peut se situer pour regarder le mental opérer.
L'objet du pèlerinage est donc clairement annoncé : "Conscience et Régénération".

C'est la première étape alchimique. Tous les alchimistes à leur début, dit-on, doivent en passer par là. Il leur faut accomplir, avec la calebasse pour viatique, le bourdon pour guide et la mérelle pour enseigne, ce long et dangereux parcours de régénération. Au figuré du moins, car c'est un voyage symbolique et celui qui veut en profiter ne doit pas quitter son laboratoire. Il lui faut veiller sans trêve sur le vase, la matière et le feu. Il doit, jour et nuit, demeurer sur la brèche. Pour l'alchimiste, Compostelle, cité emblématique, n'est point située en terre espagnole, mais dans la terre même du sujet philosophique, c'est la préparation initiale et délicate de la matière première. Route longue et fatigante par laquelle "le potentiel devient actuel et l'occulte manifeste" ! En arrivant à Compostelle la coquille, portée au chapeau, se transforme en astre éclatant, en auréole de lumière, car le premier but de transformation de la conscience est atteint. L'Adepte sait lire le Grand Livre de la Nature.
Les attributs de Saint Jacques et du pèlerin de Compostelle, avons-nous dit, sont au nombre de 3 : la calebasse, le bâton et la coquille.

La calebasse, qui renferme le breuvage du pérégrinant, est le signe de la purification par l'eau ; pour l'alchimiste, c'est l'image des vertus dissolvantes du mercure.
Le bâton, ou bourdon, symbolise l'endurance et le dépouillement. Il soutient la marche sur ce chemin rude et pénible ; mais c'est également une arme utile sur ce chemin plein d'imprévu et de danger. C'est une arme magique capable de mettre en œuvre les forces vitales. Lorsqu'il devient sceptre enfin, c'est un symbole de souveraineté, de puissance et de commandement, c'est l'axe du monde.
La coquille Saint-Jacques ou Mérelle de Compostelle est le symbole le plus connu. Elle est portée mystiquement par tous ceux qui entreprennent le travail et cherchent à obtenir l'étoile. On rencontre fréquemment dans les églises de grandes coquilles qui contiennent l'eau bénite. Mérelle signifie mère de la lumière. Elle sert à désigner le principe Mercure, appelé encore Voyageur ou Pèlerin, ou encore "l'eau benoîte" des Philosophes.
Pour conclure ces quelques explications, nous retiendrons que le Chemin de Saint Jacques de Compostelle est celui de la quête de l'intériorité. Il part de chacun de nous, tel que nous sommes - notre matière première - et nous conduit de dépouillement en dépouillement, de révélation en révélation, jusqu'à notre centre, source d'une vie nouvelle. Un guide intérieur nous accompagne dans ce voyage, il est symbolisé par Saint Jacques.
Se mettre à l'écoute de sa propre voix intérieure, donner vie à sa propre Présence, c'est déjà, sur la Terre, cheminer dans l'immortalité. 

mercredi 17 janvier 2024

Le petit ver...de tous les possibles !

Connaissez vous le planaire ?

C'est un petit ver plat qui vit dans l'eau douce et n'aurait probablement pas sa place ici s'il ne possédait pas quelques spécificités bien déroutantes; de récentes découvertes à son sujet, que je vais vous décrire, ont même ouvert des horizons insoupçonnés qui pourrait bien conduire à une conclusion sur une hypothèse de Jung (entre autre) : la psyché n'est pas localisée dans le cerveau !

Le planaire

Ce petit animal de quelques cm de long est beaucoup utilisé en science expérimentale pour deux raisons principales :
  • Bien que peu évolué, possédant une vue médiocre, il est sensible à de nombreux paramètres (températures, vibrations, physico-chimie du milieu, etc.) qui permettent d'interagir sur son confort et ses préférences,
  • Il a la particularité de pouvoir totalement régénérer son corps, même à partir d'un fragment très petit, à partir des fameuses cellules souches, les néoblastes (Utilisés notamment dans la médecine réparatrice)
L'expérience...en deux temps

1959 : Le biologiste James McConnell tente de découvrir la "dynamique de la mémoire" (la non localisation spécifique en quelque sorte) et ses premières conclusions sont positives mais trop peu reproductives et surtout, très critiquées à une époque où la neurologie était peu considérée.

Juillet 2013 : Une équipe de chercheur américaine parvient à la même conclusion, avec des données reproductibles et incontestables.


Protocole
  1. On crée une mémoire, artificiellement, aux planaires : le ver, qui fuit la lumière et préfère les surfaces lisses, doit aller sur une surface rugueuse et éclairée pour se nourrir,
  2. La mémorisation est vérifiée quotidiennement durant 15 jours, temps de régénération de la tête,
  3. On décapite les vers et on attend 15 jours que la tête se régénère,
  4. On les nourrit, toujours exclusivement dans la zone éclairée à surface rugueuse et, ô surprise, la mémoire est conservée, les vers regagnent spontanément la zone "apprise" pour se nourrir, en dépit de leur rejet naturel pour ces paramètres.
Luz Dentro Serie Representación Figura Humana Irradiando Luz Elementos  Fractales: fotografía de stock © agsandrew #376309050 | Depositphotos
 
Corolaires
  • Confirmation d'une hypothèse déjà ancienne, la mémoire ne se niche pas exclusivement dans le cerveau. Pour l'anecdote, bien qu'il n'y ait pas encore de certitudes scientifiques, la piste des cellules souches et de l'ADN comme malle à souvenir est évoquée,
  • Le deuxième corollaires est que, si la mémoire, élément structurant de la conscience, n'est pas localisée dans le cerveau, la conscience, et de là, la psyché en général possède une source non cérébrale,
  • Si la mémoire d'un homme peut se perpétuer en dehors du cerveau, que l'on reste sur une hypothèse physique (comme l'ADN) ou non (hors du corps physique), on est en droit de poser l'hypothèse d'une mémoire de l'homme, appelée inconscient collectif par Jung...

Lien sur l'expérience, pour anglophone.

mercredi 3 janvier 2024

Raymond Abellio - La structure absolue

"J'ai mis longtemps à comprendre que l'homme né deux fois, la première fois de la mère, la seconde de la femme, s'affronte entre ces deux naissances à ce semblant d'énigme qu'est la féminité hors de lui, alors que le seul mystère est la féminité en lui, la seule alchimie..." 
Abellio, La fosse de Babel

L'homme...

De son vrai nom Georges Soulès (1907-1986), Abellio fut très impliqué en politique entre les deux guerres, mais la postérité le retient comme un philosophe gnostique, ou un gnostique philosophe, voire un philosophe de la gnose...qu'importe les adjectifs, ce fut  avant tout un cherchant, très peu connu et reconnue encore aujourd'hui, tant son œuvre est exigeante, il demeurera un conquérant de l'âme humaine
Mort il y a près de 40 ans, il laisse derrière lui une bibliographie consistante et variée ( n'hésitant pas à distiller sa pensée gnostique à travers des romans à énigmes).
Peu connu du grand public, il fait partie de ces hommes, contemporains de Jung, qui suivant le sillon d'une individuation en développement, portent une énergie similaire et construisent, dans ce cheminement, leur propre sagesse, inspirante pour les générations qui suivent...une autre source où s'abreuver.


La pensée...

Qu'il est difficile de résumer une vie si riche parsemée d'écritures en tous genres (articles politiques, pamphlets, romans, essais philosophiques, manifeste, etc.). La citation en tête du billet expose l'un des pans de sa pensée, un rapport engagé et ouvert à la féminité.

En fait, Abellio, amateur de phénoménologie (philosophie de l'expérience vécue),  a rapidement fait le constat des antagonismes apparents au sein de l'homme, des couples de complémentaires présents dans tous les champs de l'être (anthropologique, social, ontologique, éthique, esthétique, ...). 
Durant 30 ans, il n'aura de cesse de comprendre comment concilier et unifier ces facettes. Notons au passage que ce thème des dualités à résoudre, inhérentes à la nature humaine est commun à Jung.
L'aboutissement de ses recherches, apogée de ce que l'on nomme "gnose abéllienne" est l'invention (découverte ?) de la structure absolue.
"...la structure absolue ne se donne pas comme une recette ou une méthode d'organisation ou de classification entre d'autres, mais comme un pouvoir universel engageant un mode entièrement nouveau de connaissance, c'est à dire de communication avec le monde, et par conséquent aussi un mode entièrement nouveau d'existence." Eric Coulon, Interview



La structure absolue
ou la « dialectique de la double contradiction croisée »

Tentons la simplicité, au risque de la simplification ; chaque champ de l'être répond à quatre pôles réparties en deux paires d'opposition qui se croisent selon deux axes...cette structure hélicoïdale marque l'assomption des essences vers le haut et leur incarnation vers le bas.

La structure absolue n'est pas une théorie mais une pratique, une voie ("vois") d'autoréalisation (qu'il nomme "réveil de l'homme intérieur") qui réunit à la fois "l'outil" philosophique occidental et la pensée dite traditionnelle. 
Abellio pose le principe métaphysique d'une interdépendance universelle, non pas comme d'un vague holisme, mais comme une théorie de la connaissance dans laquelle sujet et objet ne sont pas deux entités isolables.

Si les thèmes de la "dualité matrice de vie", d'une nouvelle gnose contemporaine à construire, réunissent Abellio et Jung, notre philosophe considèrera que l'approche purement psychologique de l'alchimie est une erreur au regard de l'opérativité réelle de cette dernière...mais comme les théologiens qui lui reprochaient de parler au nom de Dieu, probablement n'a t'il pas saisi que Jung ne spécule pas sur l'objet mais formalise les processus dynamiques engendrés par l'objet.

Quoi qu'il en soit, la voie de réalisation proposée par Abellio est d'une indéniable richesse, et d'une grande exigence, mais quel est la valeur de ce qui ne coûte rien ?





samedi 30 décembre 2023

Le refus de voir


Proposer à l'homme moderne de comprendre sur le plan du sujet ses imagines oniriques, c'est, toute proportion gardée, comme si l'on tentait d'expliquer à un indigène, tout en faisant l'autodafé de ses fétiches et de ses figures ancestrales, que les « pouvoirs guérisseurs » sont d'une essence spirituelle, et que, loin d'habiter les objets livrés aux flammes, ils dorment dans l'âme humaine.

L'indigène ressentirait une aversion légitime à l'égard d'une conception aussi hérétique; comme lui, l'homme moderne éprouve un haut-le-corps, fait de désagrément et de crainte inavouée, à l'idée de trancher à la légère l'identité, sanctifiée de toute éternité, de l’imago et de l'objet.

Il faut avouer qu'un tel divorce aurait pour notre psychologie des conséquences incalculables : il n'y aurait plus personne à accuser, à rendre responsable, plus personne à remettre dans le droit chemin, à rendre meilleur, plus personne à punir !
Au contraire, en toute chose, il faudrait commencer par soi-même, exiger de soi et de soi seul, ce que l'on exige des autres !
Ces bouleversements disent éloquemment pourquoi la conception sur le plan du sujet des imagines du rêve n'est pas de celles qui peuvent laisser indifférent.

Jung, L'homme à la découverte de son âme, p242