samedi 31 juillet 2021

Jung et l'alchimie - Gérard Dorn


Figuration des 3 phases de l'alchimie - Œuvre au noir, au blanc, au rouge

L'heure est à l'alchimie, en témoignent les instructifs billets du blog de notre amie Ariaga sur le pavé Psychologie et alchimie de Jung (Voir ici notamment ).
L'histoire qui mena notre psychologue zurichois à étudier de très près cet "art royal" mérite un article entier, mais il convient d'évoquer le personnage qui l'y a mené  et qui est abondamment mentionné dans son opus Mysterium conjonctionis (VI, La conjonction) : Gérard Dorn.

Biographie succincte

D'origine belge et mort en Allemagne, autour de 1584 à 54 ans, on a peu de trace historique sur la vie de cet homme de la renaissance. Son œuvre et, surtout, son influence sur l'art de l'alchimie, traversèrent les siècles,  Probablement l'un des premiers promoteurs du grand Paracelse (1493-1541), et contribua, par ses traductions, à la diffusion de la pensée paracelsienne dans les pays non germanophones. Il rédigera même des réponses aux accusations d'hérésie portées sur son Maître, témoignant de son profond attachement.
C'est par l'intermédiaire d'un autre disciple de Paracelse, Adam Bodenstein (1528-1577) -inconnu de la postérité car n'ayant jamais publié sous son nom- chez qui il étudia dans sa jeunesse, que sa vocation alchimique prit racine.

Pensée et philosophie

Au risque de l'approximation, tentons d'être concis.
S'il fut ardent défenseur de Paracelse, c'est principalement l'intégration des "valeurs christiques" dans le travail alchimique qui intéressa Dorn.
Sur ce principe qu'il place au-dessus des autres,  il portait, assez naturellement, un regard critique sur le travail en laboratoire le jugeant même inefficace sans un travail intérieur préalable menant à la disposition du véritable adepte. Ainsi, il fut le précurseur de ce que l'on nomma ensuite "l'alchimie spirituelle", cette quête intérieure qu'il définissait non pas comme la rédemption de Dieu en l'homme mais comme la rédemption de Dieu par l'homme.
Propos éminemment hérétiques pour l'époque. 
Cette proposition est évidemment des plus pertinentes dans le cadre de la pensée de Jung. 

Eléazar, maître de Flamel

Dorn et Jung

Lors de son voyage en Inde, en 1936, Jung frôla la mort à cause d'une dysenterie sévère et fit, dans un état comateux, une série de rêves et de crises délirantes ayant pour thème le Saint Graal. Cette période marqua définitivement un tournant dans son approche du Soi et de l'individuation.
Infatigable chercher, travailleur acharné, Jung avait emmené dans ses bagages, presque par curiosité, le Theatrum Chemicum, plus important recueil d'alchimie de Gérard Dorn. 

Cet ouvrage fut à l'origine d'une étape décisive dans l'orientation de Jung,  et c'est probablement le plus mentionné dans toutes ses études sur l'alchimie.

La voie royale

Comme figuré symboliquement sur l'image de Eléazar au dessus, il existe deux voies principales de "réalisation alchimique", la voie humide, lente, plus sure, constituées de distillations successives et la voie sèche, rapide, plus périlleuse, à base de bave de dragon, sel igné, feux mercuriels.
Jung s'intéressera à la proposition d'une "nouvelle voie", initiée par Dorn, la voie royale, s'appuyant sur les principes fondamentaux des deux autres mais centrant "l'opératif" au sein de la psyché humaine, lieu de rencontre et d'union de la matière et de l'esprit.
Il est important de noter que le concept d'Unus Mundus (monde sous-jacent et unifiant esprit et matière) créé par Dorn, sera repris par Jung, objet d'échanges épistolaires passionnants et passionnés avec Wolfgang Pauli (1900-1958), l'un des pères fondateurs de la physique quantique.

"De pierres mortes, transformez-vous en pierres philosophales vivantes. "
Theatrum chemicum, Gérard Dorn, 1602