jeudi 31 janvier 2013

Libido (2) - La dynamique progression / régression

Après une approche de la libido chez Jung (voir ici), il paraît utile d'aborder sa dynamique au sein de la psyché et les enjeux qui en découlent.
Jung, à l'instar de l'étude des archétypes, s'est bien moins intéressé à la nature même de la libido (concept limite dont on ne peut rien dire avec certitude) qu'à ses effets et contributions dans les processus de transformation psychique de l'homme.
"La systole consciente et puissante qui contracte et engendre l'individuel et la diastole qui élargit avec nostalgie et qui veut embrasser le toutMétamorphoses de l'âme et ses symboles
Petit avant-propos qui me semble indispensable : les termes de progression et de régression désignent deux mouvements contraires qui contribuent, chacun dans leur rôle distinct, à la construction de l'individu. Ce serait donc une erreur d'y lire, comme on peut y être tenté, un acte positif dans la progression et négatif dans la régression...la nature agit hors la morale humaine !

La progression de la libido

On l'assimile souvent à la notion d'adaptation. Ce besoin d'adaptation est constant dans la vie. Par adaptation, il faut entendre la disposition de la psyché à conquérir un nouveau point d'équilibre.
C'est le processus qui, lorsque l'individu est amené à évoluer sous la pression externe ou interne, va permettre d'atteindre l'attitude juste ; dans le registre de la psyché, l'adaptation marquera l'équilibre entre exigence extérieure et intérieure
En d'autres termes, il y a progression lorsque l'individu parvient à s'adapter à de nouvelles sollicitations en "respectant" son harmonie intérieure (en l’occurrence, l'équilibre de la boussole psychologique des fonctions, voir ici) .


La progression, selon Jung, nécessite une fonction consciente dirigée.
Lors d'une nouvelle exigence extérieure, il faut un arbitre pour faire le tri sur ce qui est acceptable ou non en vue de l'établissement d'une attitude : le paramètre déterminant est la fonction dominante interpellée...Ce qui est "banni" tombe dans l'inconscient et entraîne avec lui une partie de la charge psychique (libido) qui va s'accumuler. (Ne jamais oublier la loi de conservation de la quantité qui entraîne ce jeu de vase communicant)
Bientôt la source de libido de la progression tarit !

Par exemple, la situation se présente quand un homme dirigé par son intellect et bon sens (fonction pensée) ne peut plus résoudre la situation par logique et doit puiser dans sa dimension affective contenue et occultée jusque-là.

La régression de la libido

Devant l'impasse de la fonction dominante et l'accumulation des éléments rejetés (base du refoulement), la marche de la libido devient rétrograde.
L'énergie accumulée au fond de la psyché (l'inconscient) va donner vie, 
ranimer des "produits" qui stagnaient alors car occultés par la conscience.
La marche engagée est processus difficile et douloureux. Il s'agit bien de sédiments refoulés qui remontent à la surface, ce que l'individu a écarté pour vivre selon les lois qu'il avait établi.
Ce que lui demande la régression est, ni plus ni moins, d'aller au-delà des frontières de ses interdits intérieurs !
Le conflit qui naît alors est souvent violent et on le comprend aisément. 
L'énergie (=libido) disponible à ce moment à l'inconscient donne une  telle vigueur aux produits de l'inconscient que la conscience n'a aucun moyen de les contrer durablement. L'individu est alors "écartelé". La durée de la lutte et les choix fait détermineront l'issue.
Si l'ego lutte avec acharnement, l'homme se ferme à ses arrivées archaïques, ses fantasmes, ses images incongrues, ses peurs infantiles et la dissociation pointe son nez, avec son lot de névroses voire pire...mais si ce dernier capitule, accepte le dialogue proposé, alors les noirceurs effrayantes deviennent autant de germe de vie, de possibilité de nouvelles dispositions intérieures, et de capacité d'adaptation complémentaire qui vont s'ajouter à celles déjà acquises...l'individu devient plus complet à lui-même !

En résumé, la progression augmente la capacité de discrimination mais consomme l'énergie psychique et la régression fait gagner en nouvelles forces vives et perdre en différenciation (la distinction de ce qui est conscient et ne l'est pas).

Pour paraphraser Jung, il faut donc se préparer à "descendre plusieurs fois aux enfers" .

5 commentaires:

Ariaga a dit…

En effet c'est complexe et cette notion de libido rétrograde va occuper mes pensées pour le reste de la journée. Tout cela demande relecture ... Amicalement.

Isabelle Basirico a dit…

J’ai aimé lire ton texte Jean. Il apporte des informations essentielles. Comme j’ai un texte en cours d’écriture sur ce même sujet, j’ai juste envie d’ajouter une précision sur la régression de la libido. Tu dis en résumé à propos d’elle, qu’elle fait perdre en différentiation. Dans le meilleur des cas, cette perte n’est que transitoire non ? Je suppose que tu fais allusion à une perte en différentiation car tu assimiles la notion de régression à une forme de « retour dans la terre maternelle ». Tu évoques d’ailleurs, très bien à quel type de risques la régression expose le moi ; mais d’un autre côté, le moi ne pourrait guère être mis véritablement en rapport avec l’existence d’une vie intérieure. Et d’y découvrir les tendances opposées, les instincts limités ou entravés…etc

Benoit Mouroux a dit…

Bonsoir Isabelle,

Merci pour ce commentaire avisé.
Tu as parfaitement cerné ce que je voulais dire par "perte de différenciation". C'est une phase évidemment transitoire mais indispensable...il me semble qu'il faut s'approprier pleinement avant de pouvoir distinguer et là, le rôle de la régression est essentiel.
Et oui, le moi doit être bousculé, et en étant espiègle on peut dire que c'est lui qui conditionne le degré de sévérité de la "claque".

Ton blog est très intéressant et agréable à lire...

Isabelle Basirico a dit…

Le pôvre petit moi, tu y vas un peu fort, je trouve (sourire) ; Car, peut-il maîtriser vraiment quelque chose dans toute cette histoire de rétrogradation, le moi ? Je ne ressens pas tout à fait la même chose que toi. Parce que le moi, lorsque la libido régresse, est souvent possédé, manipulé par les contenus de l’inconscient, instincts, fantasmes, images archétypales – et tout lui paraît si vrai, si réel, si fort. Il ne voit pas en fait qu’il est entrain d’entamer une conversation inconsciente avec son inconscient. Certes il devrait écouter ses rêves, mais comment fait-on quand on ne sait pas les interpréter correctement ? Je pense vraiment que le moi subit l’inconscient tant qu’il n’a pas compris qu’il est en lutte contre une partie profonde de lui même, non encore reconnue. Je pense, et je dis cela par expérience, que le moi doit non pas capituler, mais vivre ce qu’il ne connaît pas sur lui même encore, et d’aller découvrir peu à peu les germes de vie dont tu parles…C’est ainsi qu’il apprendra et comprendra, parfois bien bien plus tard….il n’ a pas d’autres choix, je pense.
Je découvre ton blog, et en fait je le trouve passionnant. Je connaissais le forum mais pas le blog.
Au plaisir de partager d’autres points de vue avec toi

Benoit Mouroux a dit…

Bonjour Isabelle,

Je n'ai jamais mentionné la moindre possibilité de maîtrise du moi sur les processus inconscient mais il peut avoir cependant un pouvoir de nuisance s'il n'accepte pas la coopération...il doit se comporter comme un serviteur, surtout pas comme un maître et encore moi un esclave.
Comme pour tout, c'est un subtil équilibre.
Mais la fonction première du moi lui donne un attribut de conservatisme violent, il est très rare que le mouvement interne ne se produise sans lutte et heureusement car sinon nous serions tous très malades...cette confrontation annonce d'ailleurs les prémices de la conjonction.
A très bientôt,
Jean