Une fois n'est pas coutume, je ne vais pas évoquer d'ouvrage autour de la psychologie mais je reviens aux écritures poétiques, dans la veine de la plume de Bobin (voir ici).
L'auteur est un aventurier, au sens originel, tour de monde en vélo, traversée de l’Himalaya, escalade de Notre Dame de Paris sont parmi ses faits d'arme. Il faillit perdre sa vie en août 2014, chutant de 8 m en pratiquant son exercice favori, déambuler sur les toits de Paris. Mais son grand amour réside en Russie orientale, s'étendant de la Sibérie à la Mongolie et détient un record de taille et de transparence : le lac Baïkal.
Je ne m'étendrais pas outre mesure et préfère, une nouvelle fois, laisser parler les mots du livre. Mentionnons qu'il s'agit du récit de l'auteur qui a choisi de vivre 6 mois dans une cabane de pêcheur durant l'hiver, au fin fond des forêts de Sibérie, à quelques centaines de mètre de l'objet de ses désirs, les berges du lac Baïkal. La prose nous délivre les émotions, les paysages, les contemplations, les rapports humains, le rapport à la solitude, du rêve, de l'inaccessible...à découvrir pour tout amateur de belle plume évocatrice.
J'engage chacun à découvrir l'auteur à travers ses interviews et, surtout, ses ouvrages...mots percutants de sa part, "la vie ne tient de la grâce que par sa fragilité et son incontournable fin !".
Quelques extraits
C'est le soir, il est 9 heures, je suis devant la fenêtre. Une lune timide cherche une âme sœur mais le ciel est vide. Moi qui sautais au cou de chaque seconde pour lui faire rendre gorge et en extraire le suc, j'apprends la contemplation. Le meilleur moyen pour se convertir au calme monastique est de s'y trouver contraint. S'asseoir devant la fenêtre le thé à la main, laisser infuser les heures, offrir au paysage de décliner ses nuances, ne plus penser à rien et soudain saisir l'idée qui passe, la jeter sur le carnet de notes. Usage de la fenêtre : inviter la beauté à entrer et laisser l'inspiration sortir.
C'est dans l'intérêt du solitaire de se montrer bienveillant avec ce qui l'entoure, de rallier à sa cause bêtes, plantes et dieux. Pourquoi ajouterait-il à l'austérité de son état le sentiment de l'hostilité du monde? L'ermite s'interdit toute brutalité à l'égard de son environnement. C'est le syndrome de saint François d'Assise. Le saint parle à ses frères oiseaux, Bouddha caresse l'éléphant enragé, saint Séraphin de Sarov nourrit les ours bruns, et Rousseau cherche consolation dans l'herborisation.
Un ermite ne menace pas la société des hommes. Tout juste en incarne-t-il la critique. Le vagabond chaparde. Le rebelle appointé s'exprime à la télévision.
L'anarchiste rêve de détruire la société dans laquelle il se fond. Le hacker aujourd'hui fomente l'écroulement de citadelles virtuelles depuis sa chambre. Le premier bricole ses bombes dans les tavernes, le second arme des programmes depuis son ordinateur. Tous deux ont besoin de la société honnie. Elle constitue leur cible et la destruction de la cible est leur raison d'être.
L'ermite se tient à l'écart, dans un refus poli. Il ressemble au convive qui, d'un geste doux, refuse le plat. Si la société disparaissait, l'ermite poursuivrait sa vie d'ermite. Les révoltés, eux, se trouveraient au chômage technique. L'ermite ne s'oppose pas, il épouse un mode de vie. Il ne dénonce pas un mensonge, il cherche une vérité. Il est physiquement inoffensif et on le tolère comme s'il appartenait à un ordre intermédiaire, une caste médiane entre le barbare et le civilisé. Yvain, le chevalier fou d'amour, erre tout nu dans la forêt. Il rencontre un ermite qui le recueille, le soigne, le ramène à la raison et le reconduit à la ville. L'ermite, passeur des mondes.
Sur la grève, les événements des derniers jours ont libéré la vie. Le jour est plein de mouches. Je fais la sieste sur des galets chauffés. Sur les talus, des bouquets d'anémones piquettent le sable. Des canards se sont abattus sur les plans libres, avides d'amour et d'eau fraîche. Ils prenaient du bon temps au sud. Quand les chiens courent vers eux, ils décollent pathétiquement. Les hommes ont d'abord imité les oiseaux pour construire des avions, les canards, eux, imitent les premiers avions. Les rives sont agitées par un meeting aérien permanent. Des aigles planent, les oies patrouillent en bandes, les mouettes enchaînent les piqués et des papillons, tout étonnés de vivre, titubent dans l'air. Quarante-huit heures ont suffi au printemps pour confirmer son putsch.