dimanche 29 octobre 2023

Felicia neurosis !!! - Une approche de la psychologie de Jung


Cette expression, Jung aimait l'évoquer pour désigner les symptômes névrotiques...quelques témoignages de proches ou bribes tirées de correspondances mentionnent ses mots particuliers que l'on peut rapidement traduire par "prolifique" ou "bienfaisante" névrose. Curieuse expression !

Un postulat révolutionnaire : 

la fonction prospective de l'inconscient

« Aucun fait psychologique ne peut jamais être expliqué de manière exhaustive en seuls termes de causalité ; en tant que phénomène vivant, il est toujours indissolublement rattaché à la continuité d’un processus vital, de sorte qu’il s’agit de quelque chose qui non seulement a évolué, mais est aussi créatif et en continuelle évolution » (L'homme à la découverte de son âme)

Je ne reviendrai pas sur la genèse, issue de l'empirisme clinique et notamment l'étude des rêves, mais il me semble que nous tenons, pour l'époque (les choses ont heureusement évolué), la plus grande distinction existante avec les autres psychologies, en particulier l'école freudienne. 
Freud considérait avec une immense méfiance la capacité de régression chez l’homme (voir ici), Jung, quant à lui, percevait dans l’irrationnel une composante profonde et donc essentielle de l'humain.

Jung  a réalisé dans ses pratiques, puis formalisé dans ses concepts, que l'inconscient n'était pas qu'un grenier rempli de refoulements divers mais contenait également les clefs d'une construction intérieure en cours.
Pour lui, il existe chez l'homme une aspiration impérieuse à retourner dans la matrice de l'inconscient pour y vivre une sorte de "re-naissance" intérieure. Cette aspiration comporte une dimension spirituelle.
Jung insiste donc sur un dynamisme de transformation et de création présent dans la psyché humaine.


Pourquoi "Luxus neurosis" ?

 « Nous ne devrions pas tenter de nous débarrasser d’une névrose, mais bien plutôt de voir ce qu’elle signifie, ce qu’elle a à nous enseigner, quel est son but. Une névrose n’est véritablement supprimée que lorsqu’elle a supprimé les fausses attitudes du moi. Nous ne la guérissons pas ; c’est elle qui nous soigne. Un homme est malade, mais la maladie est la tentative de la nature pour le guérir ». (Correspondance de 1934)

Pour Jung, la névrose est avant tout une désunion avec soi-même, c'est "l'expression d'une âme en souffrance". Mais elle porte en elle une tentative de guérison. Souvent, c'est une compensation à une attitude unilatérale (par exemple une conscience qui n'accepte pas les "produits" de l'inconscient).
Pour image, nous pourrions dire que la conscience se perd sur la route de l'accomplissement (c'est même dans sa nature mais c'est un autre sujet) et que la névrose est appel, lancinant et souvent douloureux, qui l'attire vers le chemin adapté.
Mais la souffrance ne revêt pas seulement des aspects négatifs, elle constitue aussi une invitation au changement, à l'élargissement de nos horizons, une sorte de passage obligé vers une métamorphose de la personnalité.



Le pouvoir de guérison de la psyché

"La plupart des écoles psychologiques contemporaines élaborent leur théorie de l'homme à partir d'un présupposé tacite qui prétend savoir ce qu'est la maladie psychique et connaître les règles ou les critères collectifs de la normalité humaine. Il s'insère de ce fait un élément de manipulation plus ou moins important dans l'ensemble des thérapies médicales (...) A l'opposé de cette façon de voir, la thérapie selon C.G. Jung pourrait être qualifiée d'"homéopathique". En effet, nous ne pensons pas savoir ce qui est bon pour le patient; en revanche, nous faisons confiance aux tendances naturelles d'autoguérison de la psyché. C'est pourquoi cette thérapie porte toute son attention sur la compréhension de ces forces d'autoguérison et s'efforce de les favoriser, sans plus. Toutefois, nous ne saurions comprendre ces tendances de l'âme vers la guérison sans arriver à "déchiffrer" le langage onirique par lequel s'exprime la nature psychique. Cela représente un travail ardu auquel Jung a consacré toute sa vie et toute son œuvre."
Marie-Louise Von Franz, dans son livre "La délivrance dans les contes de fées"

Parmi les autres apports fondamentaux de Jung

  1. Jung apporta une innovation acceptée par les analystes d’aujourd’hui : Dans le rêve, on peut retrouver l'éclairage objet et sujet; notamment, les personnages des rêves peuvent être considérés comme représentant des aspects du moi propre du rêveur. 
  2. Vers 1915, Freud écrivit : « C’est, à mon avis, l’un des grands services que nous a rendu l’école de Zurich, que d’avoir fait ressortir la nécessité pour toute personne voulant pratiquer l’analyse de se soumettre auparavant elle-même à cette épreuve chez un analyste qualifié. » Jung imposa l'idée qu'un analyste devait d'abord être passé par l'analyse pour évaluer les enjeux en cours dans un échange analytique et "s'en affranchir" pour ne polluer la thérapie...on reconnait bien là sa "rigueur opérative".

vendredi 20 octobre 2023

Le sacrifice

Abel et Caïn
Qu'est ce que le sacrifice ? Et de mes propres sacrifices ? Le sacrifice est il toujours contraint ? N'est il que source de douleurs et souffrances ? Peut il être consenti ?
Autant de questions qui me taraudent depuis longtemps et, je dois admettre que les outils fournis par la psychologie jungienne m'ont permis de démêler beaucoup de choses et d'éclairer mes incompréhensions...petit partage. 
 
Sur un plan étymologique (sacrificium), le sacrifice est un acte reliant à la divinité
A notre époque, où la mort ritualisée en offrande aux Dieux ne représentent plus qu'une pratique archaïque (et barbare car absolument plus comprise) de nos  ancêtres très (trop ?) éloignés, cette acception a totalement disparu au profit de celle d'un arrachement forcé et contraint par des évènements extérieurs...surprenant de constater un tel grand écart ! 
Et pourtant, les sages de toutes cultures savent que la peur et le repli sur son moi (je suis convaincu que les deux sont indissociables) sclérosent toutes avancées spirituelles, alors ? avancer vers Dieu signifie t'il toujours la mort de l'intégrité passée qui nous rassurait tant ? il semblerait bien que oui et la pensée de Jung précise même que ces arrachements ne seront productifs que s'ils sont "accompagnés", acceptés résolument et sereinement...sereinement car il nous faut reconnaître notre subordination à quelque chose qui nous dépasse et nous dépassera toujours et qui, pourtant, est le cœur réel de notre être, le Soi (approche ici).

Le sacrifice ou l’ouverture au sacré ne se fait que par lentes étapes et inclut le renoncement conscient  en vue d’une métamorphose. Sur la voie de l'individuation, la plongée intérieure ne peut que s'opérer par couches successives, telle l'archéologie, et chaque profondeur oblige à une confrontation toujours plus délicate jusqu'à l'éclat brûlant du numinosum, le regard des "Dieux".



Le sacrifice à l'œuvre dans la conquête du Soi ne crée aucune frustration car il répond à une dialectique qu'exige la nature de l'homme. Il est encore moins castration car la participation volontaire du moi est nécessaire. Dans les racines de la conscience (billet ultérieur en préparation), Jung traite de la transsubstantiation (conversion du pain et du vin en corps et sang du Christ lors de l'Eucharitstie) qui est sacrifice ultime, Dieu comme sacrifié et sacrificateur pour la rédemption du genre humain, la conscientisation de Dieu dans l'homme et de l'homme vers le Soi.

Pour terminer, une citation des "Métamorphose de l'âme et ses symboles" comme un clin d'oeil. En effet, en rédigeant cet oeuvre, Jung savait qu'il signait l'arrêt de mort de sa relation à Freud qui allait induire tant de changements dans sa vie sociale et intérieure...un pur sacrifice en somme.

" Ce que l’audace des hommes découvre par spéculation sur l’essence du monde phénoménal , à savoir la ronde des étoiles et l’histoire universelle humaine sont l’illustration substantielle d’un rêve divin appliqué au drame intérieur , cela devient probabilité scientifique . L’essentiel du drame mythique ce n’est pas le concrétisme des personnages , autrement dit , il importe peu que soit sacrifié tel ou tel animal ou représenté tel ou tel dieu ; l’important , c’est uniquement qu’un sacrifice ait lieu , c’est-à-dire que se produise dans l’inconscient un processus de métamorphose dont la dynamique , dont les contenus et le sujet sont eux-mêmes inconscients , mais se révèlent indirectement à la conscience parce qu’ils stimulent le matériel représentatif à sa disposition et s’en revêtent en quelque sorte comme des danseurs de peaux de bêtes et les prêtres de la peau des hommes sacrifiés "

dimanche 1 octobre 2023

Benjamin Libet - Existence de l'inconscient par la science ?



Benjamin Libet (1916-2007),  neurologue américain, fit une découverte troublante en 1983, aboutissant à ce constat :  
Notre conscience ne serait pas libre de vouloir mais de décider...autrement formulé, nos intentions émergent à l'insu de notre conscience et auraient ainsi une origine non consciente

Évidemment, sans faire de tapage médiatique, ces recherches ont des répercussions profondes sur les considérations psychologiques et philosophiques autour du thème du libre-arbitre.
Bien naturellement, cette évocation d'une source inconsciente de nos choix ne peut qu'inspirer le lecteur sensible à la psychologie des profondeurs. Jung, initiateur des fameux tests d'association (voir ici par exemple), aurait surement applaudi et apprécié ces recherches.

Le constat
 
L'expérience, ou plutôt les expériences, qui ont permis de confirmer ces conclusions déroutantes sont complexes et précises, aussi je mets à disposition des lecteurs un lien en fin de billet pour l'appréhender plus en détail.

Pour faire simple, lorsque je veux faire un mouvement, voici le processus que l'on croyait à l’œuvre :
    1. Je choisis de faire le mouvement,
    2. Mon cerveau prépare les impulsions nécessaires à déclencher le mouvement,
    3. Les muscles prennent le relais pour réaliser le mouvement.
      Après de multiples essais, vérifications, expérimentations, Libet et son équipe durent se résigner et constater que le processus réel en cause diffère de ce schéma :
      1. L'activité cérébrale précède de très peu la décision consciente (350ms, soit à peu près un tiers de seconde),
      2. Le choix conscient s'accomplit,
      3. Les muscles prennent le relais pour réaliser le mouvement.
       
      Conclusions directes
      • La conscience n'est pas à l'origine d'une décision,
      • C'est un processus qui met en cause le cerveau qui détient la capacité originelle du choix (puisque c'est décelable par lui),
      • La notion de libre-arbitre n'est probablement pas remis en cause puisque dans la chaîne, le positionnement de la conscience est déterminant : faire le geste ou ne pas le faire.
      Conclusions indirectes
      • Le temps de la conscience n'est pas le temps des neurones !
      • La conscience a, finalement, un seul pouvoir réel : celui du veto, le refus de l'impulsion d'intention que lui envoie "la source",
      • Ne peut on pas associer cette "source" avec l'inconscient, voire avec l'âme de nos traditions ? auquel cas, ces impulsions initiales ne répondraient elles pas à un besoin naturel du même ordre que l'individuation sur le plan psychique ?
      • Si le libre-arbitre "survit" douloureusement (on a le choix final), la voie du déterminisme n'est pas une fatalité car nous ignorons encore (et surement pour longtemps) la source du processus...
      Mots des grands esprits autour du sujet
       
      "Nous sommes une combinaison de deux entités
      Sir John Eccles
       
      "L’esprit doit être restauré dans sa position prestigieuse au-dessus de la matière. 
      Roger Sperry
       
      "...si les expériences en question devaient être vérifiées ce serait un jour sombre pour le matérialisme. 
      Daniel Dennett

      Pour aller plus loin
       
      Un petit document complet, décrivant entre autre le protocole de l'expérience de Libet.

      Un livre de l'intéressé, mort en 2007, passionnant !