jeudi 29 septembre 2022

Kénose et individuation

Du Grec κένωσις que l'on pourrait traduire par l'idée du dépouillement, de l'abaissement délibéré, la kénose est un terme employé dans la théologie chrétienne. 
Il désigne notamment ce processus selon lequel Dieu abandonne son attribut de perfection (et d'unité pleine, se suffisant à elle-même) pour se manifester dans un corps de chair auprès des hommes, à travers le Christ. Scandale, crieront certains, ultime aboutissement, affirmerons d'autres.
Le Christ Jésus ayant la condition de Dieu ne retient pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur. (Ph 2,6-7)

Une question, tenant à la théologie, peut s'imposer. En perdant sa gloire, Dieu est il encore Dieu ? A chacun d'y répondre mais force est de constater que, pour les chrétiens, l'incarnation en Christ constitue le chemin vers Dieu, nourrissant dans cet élan potentiel sa gloire...

je suis le chemin, et la vérité, et la vie... (Jean 14:6  )

Quel lien avec l'individuation ?

Il nous faut en revenir aux "fondamentaux" de la pensée jungienne. L'individuation, en représentation visuelle, semble s'approcher d'une "spirale descendante rétrécie", partant des ténèbres de l'indifférenciation (inconscient dominant) à une série de cycle de régression/progression (voir ici) portant vers "un chemin de plus en plus exigeant et étroit" replaçant toutes les instances psychiques à leur juste place (règne de la conscience éclairée et éclairante)...pour, peut-être, toucher au monde numineux de l'archétype, frontière où l'immanent humain touche à ce qui s'apparente à la transcendance.

Dans ce processus, se niche le sacrifice (au sens étymologique, sacrificare, "faire sacré"). Il s'agit bien d'un renoncement, conscient mais pas toujours volontaire, la nuance est importante, qui porte à la mort l'ancien pour le renouvellement et l'espérance d'un nouveau...

L’équilibre (ou plutôt le rééquilibrage) de la personnalité auquel le processus d’individuation nous donne accès par la mise en tension des opposés n’est jamais un « juste milieu » mais presque toujours un abaissement. Ainsi, lorsque advient le « troisième » (par exemple la fonction dite inférieure, voir ici), ou tout du moins lorsque les valeurs de l’ombre qu’il représente commencent à être reconnues, admises par le moi, les idéaux, qui sont toujours des valeurs « hautes », s’effondrent, perdent de leur prestige ; la personnalité s’alourdit et se matérialise, et ne découvre qu’avec le temps et à travers ce qu'il conviendra d'appeler une forme directe ou indirecte de dépression, le sens paradoxal (unissant contrainte et liberté, limitation et gain d’espace) de cet enracinement dans la terre et le corps.

La voie de l’individuation ouvre les portes de la liberté vraie, celle qui consiste en l’adhésion sereine –fût-elle douloureuse parfois- à un ordre dépassant l’homme, grâce auquel il se sent à sa place dans un univers doté de sens. Je songe alors à l’abandon chrétien qui trouve son apogée dans la kénose.

La kénose. 

L’abandon. 

Dans cette solitude radicale, absolue, dans cette nuit, ‘descend’ le mystère.



samedi 24 septembre 2022

Jung à la télé


Voici plus de 7 ans, je vous avais proposé un documentaire des années 80, axé autour de l'interview de Jung en 1959 par Freeman (retrouver ici). Souhaitant le regarder à nouveau, j'ai réalisé que le contenu de l'interview était difficile à bien appréhender tant les apports et commentaires extérieurs du documentaire, bien qu'enrichissants en soi, perturbaient le suivi du fil.

Aussi, pour ceux qui souhaitent regarder l'intégralité de cette fameuse (et unique dans son genre) interview de Jung, je mets ici à disposition les liens et les vidéos avec un sous-titrage français.

Connaissant très bien cet interview, j'apprécie de le visionner régulièrement car j'ai le sentiment de découvrir une nouveauté à chaque fois (phrase qui m'avait échappé, expression particulière du visage, etc)...cette fois, j'ai été frappé par un élément pourtant flagrant : la grande disponibilité de Jung. 
On sent une attention soutenue aux paroles de celui qui l'interviewe, un effort sincère et profond pour atteindre la réponse la plus juste et précise...finalement, une grande qualité de présence comme ne peuvent posséder que les "vieilles âmes".

Bon visionnage.



jeudi 15 septembre 2022

Dialogues avec l'ange

On s'interrogera peut-être sur la présence d'un tel sujet sur ce blog....la réponse réside dans cette interview d'une heure de Gitta Mallasz (1907-1992).
Pour les impatients, le sujet crucial est abordé autour de la 15e minute.
4 jeune hongrois juifs, 3 femmes et un homme, dans un pays envahi par la nazisme, reçoivent soudainement, chaque semaine, une parole qui "n'est pas 'eux", une communication avec le sacré qui impose vérité, authenticité, déploiement de l'être...
Gitta, seule survivante de la guerre, se posera non pas comme auteur mais comme "scribe" de la parole de l'ange...
J'ai lu cet ouvrage 20 ans auparavant en étant saisi par la profondeur (et donc la difficulté parfois de la lecture) mais sans en toucher le sens profond ou, objectif manifeste de cet écrit, en tirer un enseignement pour "vivre la mission que la vie nous propose".
Gitta, en avant-propos du livre, précise que toute interprétation, toute conférence faite au nom de l'ange qui ne soit pas animé par elle, le serait sans son consentement...en lisant le livre, on comprend que ce n'est pas un caprice d'orgueil, mais bien l'exigence d'un esprit qui discerne et combat la confusion.
20 ans plus tard, la vie m'impose de lire à nouveau ce témoignage.



dimanche 11 septembre 2022

Archétype (11) L'anima chez Jung - James Hillman - Partie 3





Nous voici dans le troisième volet de ce très riche essai de Hillman sur l'anima. 
Lui-même écrit que le sujet ne pourra jamais être épuisé tant il évolue au rythme de la croissance humaine. 
Nous avions terminé la précédente évocation par un constat troublant, réalisé par Jung lui-même, "C'est la vie derrière la conscience...dont la conscience est issue".

Voyons maintenant d'autres facettes au moins aussi "inattendues".

6- Anima et dépersonnalisation

Le sentiment d'identité personnelle ne viendrait pas du moi mais serait donné au moi par l'anima.
La perte, provisoire, de ce sentiment est la dépersonnalisation et peut intervenir dans de nombreux cas, selon des états "toxiques" ou non.
C'est le sentiment étrange de tomber dans un fonctionnement "mécanique", d'être spectateur de sa vie, de ne plus percevoir la réalité du monde.
A distinguer de la dépression qui est une inhibition des fonctions vitales, ici nous sommes dans la perte d'implication et d'attachement à soi-même et au monde.
Un exemple fréquent est l'état d'apathie profond suite à une forte déception amoureuse...exemple pas réellement anodin puisque cet état serait lié à une "perte de lien avec l'Anima".
A ce stade de réflexion, l'anima est la force générique qui anime l'âme.
On pourrait la rapprocher du daïmon grec ou du ba égyptien.

7- Intégration de l'anima

"L'Anima et l'Animus se situe à la limite supérieure du clair-obscur de l'être...Aussi longtemps qu'ils se trouvent dans cet état, ils doivent être reconnus et acceptés comme personnalités parcellaires relativement indépendantes...ce n'est que lorsque le conscient aura acquis une connaissance suffisante...que celle-ci pourra être ressentie comme un simple fonction."  
Jung, Commentaire sur la Fleur d'Or

On passe de l'image au contenu,  de la personnification à la fonction, qui, implicitement, lui est supérieure.
Comme l'écrit Corbin, l'image féminine que rencontre le héros n'est pas son ennemi mais son ange gardien.
Voici qu'apparaît une dynamique psychique atypique dans la psychologie de Jung : Intégrer l'Anima n'est pas seulement reconnaitre son autonomie et sa "personnification" mais aussi de transformer cette personnification en fonction.
  • Il faut, en quelque sorte, percevoir la nature véritable des aspects personnels de toute personnification,
  • L'intégration est un changement de point de vue qui passe de elle en moi à moi en elle.

8- Médiatrice de l'inconnu

Au regard de ce qui a déjà été évoqué, nous pourrions écrire que l'Anima représente l'inconnu en tant qu'il est le mystère de la conscience en relation avec la nature et la vie.
Si elle n'est pas, loin s'en faut, le seul archétype en jeu dans l'individuation, elle reste cependant celui de l'appel psychologique, celui qui médiatise l'inconscient.
Et avant de devenir conscient, nous devons pouvoir savoir où, quand et comment nous sommes inconscients.
Mais il y a un écueil empoisonné à esquiver : l'Anima n'apporte pas de réponse, elle les portent, sous forme d'image !
Et c'est précisément ici que l'âme, la psyché, a besoin du logos, de l'intellect.
"C'est de la tête que sort le corps et ceci est également l'œuvre de Eve."  Jung, Psychologie du transfert