samedi 24 juin 2023

Apoptose - La mort nécessaire

cellule-souche - Trust My Science  

Ce terme étrange est également appelée "suicide cellulaire" ou, beaucoup plus déroutant, "mort cellulaire programmée"; il désigne le processus biologique particulier qui dicte à des cellules leur autodestruction. Jusqu'à sa découverte (récente, 1972), seule la nécrose expliquait la mort cellulaire. 
Pourquoi s'intéresser à la biologie cellulaire me demanderez vous ? Parce des analogies avec les processus psychiques peuvent être révélées et qu'il est toujours instructif de noter l'inventivité de la vie, Jung ayant toujours la proximité et l'interdépendance entre biologique et psychique.

Quelle fonction à l'apoptose ?

Elle est essentielle, sur plusieurs plans, 2 fondamentales. 

La construction :
C'est par elle que durant l’embryogenèse (période de développement précédant le stade du fœtus), des distinctions morphologiques se font :
  • ce qui sera la main du fœtus ressemble initialement à une moufle, par l'apoptose, des cellules meurent pour faire apparaître les doigts,
  • elle permet aussi la disparition de notre archaïque appendice caudal,
  • elle entraîne le disparition des neurones isolés, etc.
La régulation :
  • Lors des processus immunitaires, certains anticorps inopérants peuvent devenir dangereux. Ils s'éliminent par apoptose. 
  • Lorsque la phase d'allaitement se termine, l'apoptose organise la restructuration du sein pour son retour à l'état initial en éliminant les cellules excédentaires, etc.
La participation à un équilibre subtile

On se rend compte que le corps fonctionne sur un modèle de régulation, d'ajustement continu...ainsi, l'apoptose permet elle d'équilibrer le développement cellulaire.  

Le blocage de l’apoptose : l'exemple le plus connu est celui des cellules cancéreuses.

Une apoptose intempestive : des découvertes récentes ont conclu que les problèmes lymphocytaires (immunitaires) des personnes atteintes du VIH (sida) était due à une apoptose non contrôlée.

L'apoptose est en lien avec la notion, que l'on retrouve,  fréquemment citée par Jung dans ses descriptions de dynamique psychique, d'homéostasie, c'est à dire la capacité d'équilibre d'un système.
Entre création et mort, le corps est constamment maintenu dans un état d'équilibre



Comment cela se passe t'il ?

Les biologistes expliquent que pour qu'une activité soit maintenue, le corps doit constamment envoyer des  "signaux de croissance" à ses cellules...dès que le signal est coupé, la cellule entre en apoptose. Elle s'isole et détruit son noyau.
Ainsi, au bout d'un certain nombre de divisions, qui ont fatigué progressivement son bagage génétique, la cellule enclenche l'apoptose...la vieillesse et la fin de vie répondent au même processus.


C'est donc par un phénomène interne que cette mort cellulaire s'enclenche, contrairement à la nécrose qui est liée à une intrusion externe.

Aqua Permanens: décembre 2011

Apoptose psychique ?

Je m'engage là dans un jeu d'esprit, afin de proposer des pistes de réflexion autour d'hypothétiques analogies entre l'apoptose cellulaire et certaines considérations psychiques.

  • Tout comme l'embryon doit vivre une succession de sacrifices (morts cellulaires) pour devenir fœtus accompli, l'individu sera confronté à des morts symboliques au sein de la psyché pour se construire (voir à ce sujet le billet sur le sacrifice),
  • Le mystère de la vie place l'enjeu global au dessus des enjeux particuliers; la cellule, en se sacrifiant, contribue à la survie et au dynamisme de l'ensemble. Si elle ne s'y soumet pas, c'est tout l'ensemble qui en pâtit. De même, ces phases régressives de la libido, qui soumettent (proposent à ?) l'individu à l'abandon de "l'ancien", s'inscrivent elles dans un processus intégrant les éléments impersonnels et collectifs, l'individuation,
  • Par extrapolation, n'y t'il pas un lien étroit à établir entre les signaux de croissance et l'apoptose et les phases de progression et de régression de libido ? Cela conduirait au fait que les signaux de croissance de la conscience serait liés à la perméabilité à son inconscient, à la capacité à établir le dialogue...
  • L'organe le plus mal connu de l'organisme, le cerveau, orchestre les impulsions métaboliques, comprenant la commande de l'apoptose, afin de maintenir la vie dans son équilibre le plus parfait, quid du Soi pour la psyché ?

dimanche 18 juin 2023

Jung et le nazisme...pour en finir (2)

Me voici de retour sur ce sujet sensible, grâce à l'intervention d'un membre du forum, Martine, qui m'a indiqué l'existence d'un entretien entre un journaliste et écrivain américain, Hubert Renfro Knickerbocker et Jung; le journaliste travaillant sur un essai autour des dictateurs, et Hitler en particulier (ouvrage en anglais mais encore accessible, comme ici), a demandé un profil psychologique du führer au psychiatre suisse. J'ai retrouvé cet entretien en anglais et l'ai traduit en français. On y cerne l'analyse si fine et intuitive qui devait caractériser Jung et, surtout, on découvre un homme lucide quant à la personnalité inquiétante et sombre de Hitler...sachant que cet interview eut lieu à la fin de 1938, soit avant l'avènement du nazisme destructeur, on conclut rapidement à l'absurdité de l''hypothèse des accointances de Jung avec le régime nazi.
Madame Roudinesco, si jamais vous passiez par là, prenez donc le temps d'un peu de lecture...


Edit : Après la rédaction de ce billet, j'ai réalisé que cet interview existait déjà, en langue française, dans le livre "Jung parle" (voir ici)

Ces extraits sont des morceaux choisis du livre de Knickerbocker, issus de ma propre traduction en français, certainement loin d'être parfaite...

Quel est le pouvoir de Hitler ?
C'est une question qui m'intéressait depuis 18 ans, depuis j’avais rencontré Hitler et que je l’avais entendu parler. Depuis cet épisode, j’avais entendu des centaines d’explication sur son pouvoir et en avait élaboré par moi-même. Mais la plus intéressante et plausible discussion sur sa personnalité, je l’ai eu lors d’un entretien avec le Dr Carl G. Jung, grand psychiatre suisse, quand je lui ai rendu visite à son domicile à Zurich pour lui demander de diagnostiquer les dictateurs. C'était en Octobre 1938 et je revenais directement de Prague où j’avais assisté à la fin de la Tchécoslovaquie. L'analyse de M. Jung de Hitler fut remarquablement confirmée par les événements depuis. Il avait été personnellement fasciné par le problème de la personnalité de Hitler, et l’avait étudié pendant des années.

« Il y a deux types de leader dans la société primitive, l’un est le chef qui est physiquement puissant, plus fort que ses concurrents, et l’autre est le medecine-man qui n’est pas forte physiquement mais est fort en raison de l'autorité que le peuple projette sur lui. Ainsi, il y avait l'empereur et le pape ».
J'ai demandé: «Pourquoi est-ce que Hitler qui séduit chaque allemand qui l'adorent, produit pourtant aucune impression particulière sur un étranger? »

«Exactement», ponctue le Dr Jung "Peu d'étranger y sont sensibles, mais apparemment tous les Allemands en Allemagne le sont. C'est parce que Hitler est le miroir de l'inconscient de tous les Allemands, mais bien sûr il n’est le support d’aucune projection pour un non allemand ». 

« Il est le haut-parleur qui amplifie le murmure inaudible de l'âme allemande jusqu'à ce qu'ils puissent être entendus par l'oreille de la conscience de l'allemand. Il est le premier homme à dire tous les Allemands ce qu'ils pensent et ressentent inconsciemment sur ​​le sort allemand, surtout depuis la défaite de la Première Guerre mondiale, et l'une des caractéristiques qui teinte chaque âme allemande est le complexe d'infériorité typiquement allemand, le complexe du petit frère, de celui qui est toujours un peu en retard à la fête. Le pouvoir de Hitler n’est pas politique, il est magique. 

Pour comprendre la magie vous devez comprendre ce qu’est l’inconscient C'est cette partie de notre constitution mentale sur laquelle nous avons peu de contrôle et qui est stockée avec toutes sortes d'impressions et de sensations; Qui contient des pensées et même des conclusions dont nous ne sommes pas conscients. Outre les impressions conscientes que nous recevons, il y a toutes sortes d'impressions constamment en arrière plan de nos sens dont nous ne prenons pas conscience parce qu'ils sont trop faibles pour attirer notre attention consciente. Elles se situent en dessous du seuil de la conscience. Mais toutes ces impressions subliminales sont enregistrées, rien n'est perdu, quelqu’un peut parler d'une voix peu audible dans pièce d'à côté pendant que nous parlons ici vous ne faites pas attention à lui, mais la conversation à côté est enregistrée dans l’inconscient aussi surement que par celle d’un dictaphone. 

Maintenant, le secret de la puissance d'Hitler n'est pas que Hitler a un inconscient plus apte à stocker que le vôtre ou le mien, le secret de Hitler est double. D'abord, son inconscient a un accès exceptionnel à sa conscience et, deuxièmement, il se laisse toucher par lui. Il est comme un homme qui écoute attentivement un flux de suggestions d'une voix chuchotée à partir d'une source mystérieuse, puis agit sur ​​eux. 

Dans notre cas, même si occasionnellement notre inconscient nous atteint à travers les rêves, nous avons trop de rationalité, trop de « cérébral » pour lui obéir, mais Hitler écoute et obéit. Le véritable leader est toujours « dirigé ». 

Nous pouvons voir comment il fonctionne en lui-même et fait référence à sa voix. Sa voix n'est rien d'autre que son propre inconscient, dans lequel le peuple allemand projette sa propre personne. C'est l'inconscient de 78.000.000 d’allemands. 

C’est ce qui le rend puissant. Sans le peuple allemand il ne serait rien. Il est littéralement vrai quand il dit que tout ce qu'il est capable de faire, c'est uniquement parce qu'il a le peuple allemand derrière lui, ou, comme il le dit parfois, parce qu'il est l'Allemagne. Ainsi, avec son inconscient, étant le réceptacle des âmes de 78.000.000 allemands, il est puissant, et avec sa perception inconsciente du véritable équilibre des forces politiques du pays dans le monde, il a été jusqu'à présent infaillible. 

C'est pourquoi il porte des jugements politiques qui se révèlent vrais malgré l'avis de tous ses conseillers et contre l'avis de tous les observateurs étrangers. Lorsque cela se produit, cela signifie seulement que les informations recueillies par son inconscient, et qui atteignent sa conscience par des moyens lié à son talent exceptionnel, sont plus correctes, que celles de tous les autres, en Allemagne ou à l’étranger, qui ont tenté de juger la situation et qui ont tiré des conclusions différentes de la sienne. » 

Swastika
Dr. Jung répondit gravement: «Oui, il semble que le peuple allemand est maintenant convaincu qu'il a trouvé son Messie ; en quelque sorte la position des Allemands est remarquablement semblable à celle des Juifs d'autrefois… 

Depuis leur défaite dans la Première Guerre mondiale, les Allemands ont attendu un Messie, un sauveur. C'est caractéristique des personnes atteintes d'un complexe d'infériorité. Les Juifs ont déclenché leur complexe d'infériorité par les facteurs géographiques et politiques. Ils vivaient dans une partie du monde qui était un terrain de jeu pour les conquérants des deux côtés, et après leur retour de leur premier exil à Babylone, quand ils ont été menacés d'extinction par les Romains, ils ont inventé l'idée consolante d'un Messie qui allait rassembler les Juifs autour d’une nation et les sauver.

 

Les Allemands ont obtenu leur complexe d'infériorité de causes comparables. Ils furent sortis de la vallée du Danube trop tard, et fondèrent les débuts de leur nation longtemps après que les Français et les Anglais étaient sur ​​la bonne voie pour leur nation. Ils étaient trop en retard pour la course des colonies et pour la fondation de l'empire.


Puis, quand ils se sont rassemblés et ont fait une nation unifiée, ils regardèrent autour d'eux et virent les Britanniques, les Français et d'autres avec des colonies riches et tout l'équipement des nations adultes et ils sont devenus jaloux, rancuniers, comme un jeune frère dont les frères aînés ont pris la part du lion de l'héritage ».
Dr, Jung a dit qu'il avait observé de près Hitler lors de sa rencontre avec Mussolini à Berlin.

«J'étais seulement à quelques mètres des deux hommes et pouvais bien les étudier. Par comparaison avec Mussolini, Hitler faisait sur moi l'impression d'une sorte d'échafaudage en bois recouvert de tissu, un automate avec un masque, comme un robot ou un masque d'un robot. Pendant tout le spectacle, il ne riait jamais, c'était comme s'il était de mauvaise humeur, bouder il ne montrait aucun signe humain..


Son expression était celle d'un produit inhumain semi-conscient, sans aucun sens de l'humour. Il semblait qu'il pouvait être le double d'une personne réelle, et que Hitler l'homme pourrait peut-être se cache à l'intérieur comme un appendice, et de façon délibérée, caché afin de ne pas perturber le « mécanisme ». Avec Hitler vous ne sentez pas que vous êtes en présence d’un humain. Vous êtes face à un « médecine-man », une forme de récipient spirituel, un demi-dieu, ou mieux encore, un mythe.
Avec Hitler vous ressentez la peur. Tu sais que tu ne pourras jamais être capable de parler à cet homme, car il n'y a personne, il n'est pas un homme, mais un produit collectif, il n'est pas un individu, mais toute une nation, je considère qu'il est littéralement vrai qu'il n'a pas d'ami personnel. Comment pouvez-vous parler intimement avec une nation? »

Wotan
«Personne n’a appelé le royaume de Charlemagne le premier Reich, ni celui de William le deuxième Reich. Seuls les nazis appelaient leur Troisième Reich, car il a un sens mystique profonde."

Dr. Jung a déclaré que les nazis ressentent un parallèle entre la triade biblique, Père, Fils et Saint-Esprit, et le troisième Reich, et que, en fait, de nombreux nazis se réfèrent à Hitler comme le Saint-Esprit. 
« Encore une fois," Dr. Jung a continué, "envisager la reprise généralisée dans le Troisième Reich du culte de Wotan, dieu du vent qui prendra le nom" Sturmabteilang ", les troupes d'assaut. La swaslika est une forme renouvelée du vortex. Ne se déplaçant jamais vers la gauche, car la signification bouddhiste de la gauche est défavorable, orienté vers l'inconscient. Tous ces symboles du troisième Reich, dirigé par son prophète Hitler, reprennent l’allégorie du vent et de la tempête et tourbillonnant en vortex, balayant l'allemand dans un ouragan d’émotions irraisonnées vers un destin qui lui est inconnu, sauf pour le voyant, le prophète, le Führer qui peut lui-même le prédire…ou peut être même pas lui-même. ».

mercredi 14 juin 2023

Un projet de vie..projet pour une vie

Le hasard est parfois facétieux...il souffle un chaud et froid nécessaire. 
Après une réflexion sur la mort et la psyché (voir ici), voici que s'est dessinée, tout naturellement, sans que j'établisse de prime abord le lien, une approche sur les "règles de conduite" pour l'individuation, suggérées par Jung dans son œuvre...
J'ai immédiatement pensé à un projet de vie, peut-être pour mieux vivre et accepter ce qui semble n'être qu'une étape de plus, la mort. 

Rappelons ce regard nécessaire, cette perspective évidente : la mort, tabou propre à l'Occident, n'est pas l'opposé de la vie mais la fin d'une période qui débute à la naissance.

Clef n°1 : L'ouverture

Une ébauche avait été tentée sur un ancien billet (ici). 
Un mot d'ordre : l'étonnement !  
Retrouver son regard d'enfant, découvrant, "goûtant" la vie, sans à priori, sans effort d'interprétation, sans retenue... 
Laissez les petits enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent.
Jésus dans Matthieu 19:14.
A noter à ce sujet que cette attitude n'est pas sans rappeler la réduction phénoménologique si chère à Jung.
Savoir accueillir les choses comme elles se présentent.
Combien l'exercice est périlleux pour nous, adultes compliqués, compliqués parce que le chemin de la vie et ses choix multiplies ont poussé à oublier l'insouciance initiale.
On saisit bien ce que voulait exprimer Jung.
 "La tâche serait assez simple si la simplicité n'était pas ce qu'il y a de plus difficile"
Mystère de la Fleur d'Or (p.33) 

Renoncer à se mettre à l'écoute de" l'intérieur" est le risque de perdre le contact avec son âme.
 « II est une belle vieille légende d'un rabbin à qui un élève rend visite et demande : "Rabbi, dans le temps, il existait des hommes qui avaient vu Dieu face à face, pourquoi n'y en a-t-il plus aujourd'hui ?" Le rabbin répondit : "Parce que personne, aujourd'hui, ne peut plus s'incliner assez profondément." Il faut en effet se courber assez bas pour puiser dans le fleuve. »  Jung dans Ma Vie


Clef n°2 : Spiritus rector

On trouve ce terme notamment dans son Essai sur la symbolique de l'esprit
Il m'avait fortement interpellé...comme un écho, comme si apparaissait soudainement en mot ce que je sentais depuis toujours. Ce mot "transpirait" de numinosité
 
Par ces termes, Jung évoquait le Daïmon de Socrate, cet esprit, ce génie personnel qui servait de médiateur entre les Dieux et l'homme (pour plus de détails, voir cet excellent texte). 
 
L'intuition prend alors une nouvelle teinte, comme un murmure, des mots susurrés à l'oreille mais provenant de l'intérieur. 
S'il ne s'agissait que d'intuition, cela serait finalement assez simple...mais ce guide sait où il nous mène, et peu importe, pour lui, les moyens et les chemins empruntés. Quand on connaît le potentiel illimité de la psyché, il convient de ne jamais déroger de la clef n°1 !
La première règle impose, avant toute autre chose, de conserver  un esprit d'ouverture, de réception, sans à priori...et même dans cette disposition, il n'est pas dit que nous évitions de voyager aux portes de la folie, folie au regard des autres, nécessité impérieuse pour nous, car nos "dieux de l'interne" ne sont jamais très loin, en certaine profondeur.
Fichier:Socrate daimon.jpg — Wikipédia « II y avait en moi un daïmon qui, en dernier ressort, a emporté la décision. Il me dominait, me dépassait, et quand il m'est arrivé de faire fi des égards (qui sont habituels dans la vie courante], c'est que j'étais aux prises avec le daïmon. Je ne pouvais jamais m'arrêter à ce que j'avais déjà obtenu. Il me fallait continuer à aller de l'avant pour rattraper ma vision. Comme, naturel­lement, mes contemporains ne pouvaient percevoir ma vision, ils ne me voyaient que me hâtant toujours en avant. » Jung dans Ma vie

Pilier 3 : Ne jamais lâcher le "Moi"

Le "laisser advenir" ne signifiera jamais une pieuse et béate acceptation de ce qui nous parvient du monde voilé de l'inconscient. 
Donner sans condition les rênes à notre daïmon, c'est un aller sans retour vers des contrées terrifiantes, éternellement inconnues.
Quand Jung parle de confrontation, implicitement, il suggère une opposition. Et la seule instance psychique qui peut se poser comme barrage aux produits de l'inconscient est le moi.  Cette dynamique d'opposition est la source de croissance de la conscience individuelle.
Nous ne nous dirigeons surtout pas vers la fin de la raison (encore moins du discernement) mais vers son dépassement puisqu'elle aura été entièrement assumée.
Renoncer à son Moi, succomber à la puissance du numen, c'est terminer foudroyé (l'arche d'alliance qu'il est interdit de toucher).

Que peut paraître cruelle notre condition humaine !
Finie par nature, infinie par essence

Cette différenciation est source de nostalgie et de quête d'impossible...mais ce n'est que par elle, véritable source d'une conscience continuellement renouvelée, que nous pouvons faire vivre l'infini de notre "être" au sein de la limite de notre "moi".
« Pour l'homme, la question décisive est celle-ci : te réfères-tu ou non à l'infini ? Tel est le critère de sa vie. C'est unique­ment si je sais que l'illimité est l'essentiel que je n'attache pas mon intérêt à des facilités et à des choses qui n'ont pas une importance décisive... Si nous comprenons et sentons que, dans cette vie déjà, nous sommes rattachés à l'infini, désirs et attitudes se modifient. Finalement, nous ne valons que par l'essentiel, et si on n'y a pas trouvé accès, la vie est gaspillée.» Jung dans Ma Vie p369
«Je ne parviens au sentiment de l'illimité que si je suis limité à l'extrême. La plus grande limitation de l'homme est le Soi ; il se manifeste dans la constatation vécue du "Je ne suis que cela !"... C'est quand j'ai conscience de cela que je m'expérimente à la fois comme limité et éternel, comme l'un et comme l'autre. En ayant conscience de ce que ma combinaison personnelle comporte d'unicité, c'est-à-dire, en définitive, de limitation, s'ouvre à moi la possibilité de pren­dre conscience aussi de l'infini. Mais seulement comme cela.» Jung dans Ma Vie

dimanche 11 juin 2023

Jung et Pauli - Archétype et science



Le lien d'amitié, qui succédera à celui d'analyste et analysé, n'en déplaise aux rigoristes du genre, entre le physicien Pauli et Jung est maintenant connu, leurs correspondances même accessibles désormais (voir par exemple ici). 

Mais qui connait Wolfgang Pauli (1900-1958) ?

Un surdoué des mathématiques, contemporain de Einstein dont il publiera la première synthèse des travaux, collaborant significativement aux travaux du père de la physique quantique (Werner Heisenberg, 1901-1976) et laissant derrière lui plusieurs définitions majeures de la physique des particules, en particulier le fameux, et si insaisissable pour la physique classique, principe d'exclusion ou principe de Pauli.

La rencontre avec Jung fut liée à un mal être persistant de Pauli, hanté par des séries de rêves récurrents, si persistant et profond, qu'il fut sujet à un alcoolisme qui devenait handicapant au quotidien.


L'analyse engagée conduisit à une amitié entre les deux hommes, qui ne tarira pas au cours des 25 ans d'échange (ci-dessus, couverture de l'ouvrage retraçant leur correspondance).
Leurs relation et travaux communs sur la synchronicité trouvèrent un champ de convergence pour ces deux grands esprits.

En effet, Pauli connut des déboires répétés lors de ses expérimentations avec des machines et les défaillances semblaient se produire systématiquement à son contact. Il nomma même ce phénomène, "effet Pauli". 
Cette simple considération le décrédibilisa à l'époque aux yeux de certains de ses collègues, ce qu'il ne comprit et n'accepta pas. 
Le rapprochement avec Jung, avec son ouverture, sa curiosité d'esprit et son extrême rigueur méthodologique, semblait donc des plus naturels.

Il faut noter également le profond intérêt de Jung pour comprendre des aspects délicats et abscons d'une science en voie de développement. Comme bien souvent, Jung, pressentait qu'une nouvelle dimension de la réalité s'ouvrait soudainement, à l'instar de la psychanalyse émergente.
Les deux protagonistes, avec un sérieux bagage philosophique, partageaient l'intuition que ce nouveau champs de la science, la physique quantique, allait ouvrir des perspectives dépassant très largement le cadre des universités.

Jung et Pauli furent tels les deux piliers d'un pont tentant d'établir l'union de la matière et de l'esprit.




Dans un essai de Pauli, on peut trouver ces mots au sujet des archétypes :
"Le processus de compréhension de la Nature, uni au plaisir que l’homme ressent lorsqu’il comprend, cela paraît, du fait de se familiariser à de nouvelles connaissances, reposer sur une correspondance, sur un ajustement ayant un rapport logique entre des images internes préexistantes dans l’âme humaine et les objets extérieurs et son mode de comportement. Cette conception du savoir naturel remonte bien entendu à Platon, et fut aussi pleinement adoptée par Kepler. Ce dernier parle en effet d’idées préexistantes dans le mental divin et imprimées dans l’âme humaine, comme des images provenant de Dieu.
Ces images originelles que l’âme peut percevoir par moyen d’un instinct inné, Kepler les appelle archétypes. Cela concorde dans une grande mesure avec les images ou archétypes primordiaux introduits dans la Psychologie par C. G. Jung, qui fonctionnaient comme patrons instinctifs d’idéation. A ce niveau, le lieu des concepts nets est assumé par des images au contenu fortement émotionnel, qui ne sont pas des pensées mais des représentations picturales, comme si nous disions qu’elles s’offrent aux yeux du mental.
Dans la mesure où ces images sont l’expression de réalités entrevues mais encore inconnues, elles peuvent aussi recevoir le nom de symboliques, selon la définition de symbolique proposée par Jung. En tant qu’agents ordonnateurs et adaptateurs de ce monde d’images symboliques, les archétypes fonctionnent, de fait, comme le pont désiré entre les perceptions sensibles et les idées, et constituent par conséquent une condition préliminaire indispensable pour le surgissement d’une théorie scientifique.