Une énième biographie me direz vous...pas tout à fait.
Si j'ai eu envie de vous présenter cet ouvrage, c'est qu'il recèle des petits bijoux qui donnent un éclairage assez nouveau sur notre truculent psychologue.
L'auteur : Clare Dunne
Voici un personnage inhabituel dans cette section sur les livres. Pas de diplôme de médecine, pas de titre en psychologie, pas de cabinet...cette ancienne actrice, passionné du monde de la radio et de philosophie, a découvert Jung comme la plupart d'entre nous, au détour de lectures qui l'ont profondément marquées. Reconnaissant dans la pensée de Jung la mise en mot de ce qui l'animait depuis des années, elle décida donc de donner des conférences et séminaires avant de finalement écrire cet ouvrage particulier.
Présentation de l'ouvrage
Je ne vais pas réinventer la roue, un site ami a réalisé un travail remarquable de présentation, tant sur la forme que sur le fond, et je me fais une joie de vous indiquer le chemin pour découvrir le contenu de l'ouvrage et, surtout, des illustrations...car il faut bien le reconnaître, ces photos, images, reproductions qui parsèment le livre sont autant d'invitations au voyage de pensée et de supports de projections imaginaires, un véritable régal pour les sens et l'esprit.
Avis personnel
J'ai déjà beaucoup dit, évidemment en bien, car j'avoue avoir pris un rare plaisir à parcourir ces pages, avec facilité, comme un visiteur qui entre dans la maison et en fait le tour avant de sortir...ce qui marque dans cette biographie est l'accent mis essentiellement sur l'homme et non sur l’œuvre.
On ne trouvera pas de vulgarisation sur l'archétype ou l'individuation, mais de multiple anecdotes de vie, des témoins de passage ou des amis de longue date qui ont marqué la vie de Jung ou ont été marqués par son esprit...c'est vivant à souhait !
Quelques extraits
"...C'est vrai, une force de la nature s'exprime en moi - je ne suis qu'un conduit... J'imagine que, dans bien des cas, je pourrais vous paraître sinistre. Si, par exemple, la vie vous a mené à adopter une attitude artificielle, vous n'allez pas pouvoir me supporter car je suis un être naturel. Ma présence même cristallise; je suis un ferment. Je suis perçu comme un danger par l'inconscient des gens qui vivent d'une manière artificielle. Tout en moi les irrite, ma façon de parler, ma façon de rire... Ils sentent la nature..."
"...L'atmosphère était, dirais-je, intellectuellement vibrante et à la page; les conférences offraient toujours des sujets d'actualité nouveaux. Mais c'étaient les exposés de C. G. Jung, alors encore un inconnu pour moi, qui me touchèrent d'une façon tout à fait particulière. Ils contrastaient tellement avec le rationalisme intellectuel des autres -du moins, c'était mon impression. Mais mon jeune sens de la réalité se mit en alerte en même temps que ma fascination admirative: «Ça, c'est un "super-cerveau", mais est-ce bien vrai ?» Quand, plus tard au cours de la session, je vis Jung, son chapeau planté en arrière sur la nuque, avancer à grandes enjambées et laisser ce milieu social convivial « branché », je me dis : « Si cet homme dit ce genre de choses, c'est que cela doit être en ordre. L'enracinement en terre que je sentais émaner de Jung était pour moi la garantie de la crédibilité de sa psychologie. »...
"...À ma grande surprise, Jung m'accompagna... dans la rue où ma voiture était garée. Il marchait à mes côtés en silence, la pipe à la bouche, perdu à l'évidence dans ses pensées, et je ne disais rien non plus. Il se tourna soudain vers moi et me demanda: «Pourquoi ne me comprennent-ils pas ? » II avait un ton dans sa voix que je ne lui connaissais pas, à la fois plaintif, interrogateur et blessé. Je savais instinctivement à quoi cet «ils» se rapportait. «Ils», c'était le monde extérieur, le monde de la science, de la psychologie et de la psychiatrie officielles, celui des religions établies, des préjugés, qui persistaient à ne pas comprendre et à déformer ses découvertes et sa pénétration du monde intérieur, le monde de l'âme. Dans sa question je sentais la solitude de l'explorateur, du chercheur qui ose regarder au-delà de ce qui est accepté et connu, de celui qui ne peut faire autrement.
Je lui répondis : « Dr Jung, vous savez aussi bien que n'importe qui au monde pourquoi "ils" ne vous comprennent pas. Ne serait-ce pas simplement du fait que vous êtes en avance de cinquante à cent ans sur notre temps ? » II me regarda un court instant, hocha lentement la tête en silence et me tendit la main pour une dernière poignée de main..."
"Emma Jung mourut cinq jours plus tard, le 27 novembre 1955.
Mon cher Neumann,
Soyez très sincèrement remercié pour votre lettre si cordiale!... Je ne peux hélas qu'aligner devant vous des mots arides, car la secousse que j'ai vécue est tellement forte que je ne parviens ni à me concentrer ni à retrouver ma faculté d'expression. J'aurais aimé vous raconter en toute amitié, à cœur ouvert, comment j'ai eu, deux jours avant la mort de ma femme, ce que l'on peut bien appeler une grande illumination; en un éclair, elle a fait la lumière sur un mystère aux racines séculaires qui était incarné dans ma femme et avait exercé sur ma vie une influence immense et d'une insondable profondeur. Je ne peux avoir à ce sujet qu'une seule idée: cette illumination émanait de ma femme, qui était alors la plupart du temps sans conscience, et la clarté immense et libératrice de mon intuition a exercé sur elle un effet en retour qui a contribué à lui donner une mort royale et sans souffrance.
Cette fin rapide et sans souffrance - cinq jours seulement entre le diagnostic définitif et la mort - et cette expérience m'ont été une grande consolation. Mais le silence qui s'est fait autour de moi, ce silence que j'entends, le vide de l'espace et le sentiment d'un immense éloignement, tout cela est dur à supporter..."