Le lecteur régulier de ce blog en aura pris l'habitude, j'aime évoquer, au gré de mes envies et émotions, des hommes et leurs pensées. Viktor Frankl est un personnage particulier dans le paysage de la psychologie, peu connu en France (doit on, à l'instar d'un Jung, établir un lien avec son intérêt pour ce qui n'est pas "rationnel" ?); son parcours de vie et son approche éminemment spiritualiste font de lui un personnage atypique et marquant...à découvrir donc.
Son histoire
Autrichien de souche, le petit Viktor démontra très précocement un intérêt pour l'homme, la conscience, la vie interne , psychique...établissant une relation épistolaire avec Freud à 15 ans, il le rencontra quelques années plus tard et le "père" de la psychanalyse marquera durablement Frankl (Même lors de son éloignement de l'école freudienne, il conservera un grand respect et une forme visible d'admiration pour Freud).
A noter également, et ce n'est pas si anecdotique, son adhésion à "l'école de Adler" qu'il quittera pour divergence de pensée. Déporté avec sa famille durant la seconde guerre mondiale, il fut le seul rescapé. Il paraît évident que cette expérience extrême aura un impact définitif sur l'orientation de son œuvre.
Spécialisé en neurologie et psychiatrie, il fonda, sur le tard, un institut pour diffuser, pratiquer et enseigner sa psychologie spécifique, la logothérapie (de logos, à la fois parole, raison et idée éternelle).
Approche de sa pensée
Revenons sur l'épisode en camp de concentration.
Constatant que la robustesse physique n'avait pas de lien avec la survie des prisonniers, il réalisa qu'une force et un potentiel phénoménaux se nichaient dans ce qui constituait le sens pour l'homme...ceux qui réussissait à trouver un sens, une harmonie directrice pour eux dans le chaos extérieur apparent, parvenait à réveiller une énergie qui les maintenait en vie, coûte que coûte.
Pour Frankl, le sens de l'individu trouve sa source dans le spirituel. Il en a une définition assez personnelle d'ailleurs.
"Un homme qui a trouvé une réponse à la question du sens de la vie, est un homme religieux".
Il va même plus loin en mentionnant un inconscient spirituel, mais ce billet ne me permet pas de m'étendre plus avant (pour le moment).
Si loin de Jung ?
Objectivement, de nombreuses similitudes se retrouvent dans leur pensée :
- le domaine de la religion et du sacré sont à considérer à part entière,
- l'homme est une totalité trinitaire, guidée par le "spirituel",
- certaine névrose sont liées à une religiosité refoulée (l'âme en souffrance de Jung),
- l'homme doit laisser vivre en lui la "spontanéité" (chez Frankl, elle est similaire au "non rationnel" de Jung),....
La liste est loin d'être exhaustive....j'aime aussi rapprocher leur personnalité qui les a conduit tous les deux, au cours de leur vie, à des ruptures fortes au nom de leur autonomie de pensée.
Frankl rejette les propositions de Jung
Si j'ai insisté sur l'attachement originel de Frankl à Freud, c'est parce que je pense que cela a limité son ouverture à une pensée finalement proche de la sienne...une collaboration, même provisoire, entre ses deux "archéologues de l'âme", percevant l'importance du champ du spirituel dans la dynamique de construction psychique, aurait surement été des plus fructueuse.
Quelles propositions de Jung gênent Frankl ?
"En fait, la religiosité inconsciente ne représente à aucun degré, chez Jung, une option personnelle de l'homme."
Pour Frankl, la notion d'archétype collectif aliène l'individu et ne lui permet plus de développement personnel.
Peut être faut il rappeler que l'archétype n'existe qu'en tant que potentialité et ne devient objet que par son "incarnation" dans la psyché individuelle, qui prend, de fait, une teinte toute singulière et personnelle à chaque fois.
"Une religiosité authentique n'a pas le caractère d'une pulsion, mais celui d'une option. La religiosité s'affirme avec son caractère d'option et s'éteint avec son caractère de pulsion. La religiosité est existentielle ou bien n'existe pas."
Se niche ici une subtilité délicate...en effet, pour Frankl, existe un être spirituel, appelé "inconscient spirituel", qu'il convient de laisser "éclore" et qui relie l'individu au spirituel par l'émergence du sens. Cette dynamique s'opère par et pour l'individu et est donc guidé par le moi...pourquoi pas ?
Mais il apparait, cliniquement, que si ce travail n'est pas engagé et "l'être spirituel" étouffé, les problèmes psychiques surgissent sans exception.
Finalement, en terme très simple, la collaboration en conscience à notre "édification psychique" est LA clef du sens (qui établit l'harmonie au sein de l'interne et entre l'interne et l'externe).
Renforçant probablement la confusion pour Frankl, la libido, source des pulsions, trouvent deux définitions radicalement éloignées chez Freud et Jung. La définition "pansexuelle" de Freud devient une énergie psychique non spécifiée chez Jung, pouvant investir plusieurs champs.
En conclusion provisoire, notons que l'ouvrage majeur de Frankl pour comprendre ses travaux est "le Dieu inconscient".