J'entends ou je lis parfois des choses sur le processus d'individuation qui me gênent.
Il est question d'extase, d'accomplissement naturel, de plénitude acquise, de joie dans la réalisation, etc.
Certes, mais n'est ce pas un peu oublier que ce chemin est avant tout, par sa nature propre, parsemé des épines les plus féroces, des épreuves les plus redoutables, d'inévitables souffrances et doutes, et de véritables sacrifices (au sens étymologique de sacrificare, "fait de rendre sacré").
"la libido enlevée à la mère, devient menaçante comme un serpent, symbole de l'angoisse de mort, car il faut que meure la relation avec la mère et de cela on en meurt presque soi-même."Jung, Métamorphose de l'âme... p 515
"Le monde apparaît quand l'homme le découvre. Or il ne le découvre qu'au moment où il sacrifie son enveloppement dans la mère originelle, autrement dit l'état inconscient du commencement".Jung, ibid, p677
Selon les théories actuelles, le bébé (voire même le fœtus) reçoit ce qui "est" (réalité interne et externe), qui va alors "déranger" un équilibre initial, comme un doigt va marquer la cire, marquant définitivement cette "matrice indifférenciée"...ce creux dans la cire peut être associé à la conscience, la cire, matière figeant ce creux , serait le Moi (notons que pour Jung, le Moi est un complexe, certes particulier, mais complexe psychique).
« En dépit du caractère relativement inconnu et inconscient de ses fondements, le moi est un facteur de conscience privilégié. Il est même, sur le plan empirique, une acquisition de l’existence individuelle. Il résulte, semble t-il, du choc du facteur somatique et de l’environnement et, une fois établi comme sujet, il se développe à partir d’autres chocs avec l’environnement aussi bien qu’avec le monde intérieur. »Jung, Aïon, p 17« Il forme en quelque sorte le centre du champ de conscience et, en tant que celui-ci embrasse la personnalité empirique, le Moi est le sujet de tous les actes conscients personnels. La relation d’un contenu psychique avec le Moi constitue le critère de la conscience, car un contenu ne peut être conscient s’il n’est pas représenté au sujet. »Jung, ibid, p18
La conscience est une mémoire active qui, selon des interactions passées, va produire de la réaction, de l'évaluation, du sens au mieux...
En contrepartie, la conscience va "alimenter" le Moi pour l'enrichir. Comme le précise Jung, le Moi est le centre de la conscience, il en est même la matrice originelle (et une instance autonome mais là n'est pas le sujet du billet).
Cette relation complexe doit poursuivre son processus et on comprend aisément que la nature même du Moi est de maintenir ses acquis en place et sa relation privilégiée avec son "ouvrier", la conscience.
Selon cette dynamique relationnelle et la nature du Moi, on comprend que le changement est une source de stress car le Moi est le plus radical conservateur qui soit...il s'accroche à ses acquis (telle personne doit se comporter de telle manière, telle attitude doit être adoptée dans telle situation, etc.).
Face à tout potentiel de modification, de transformation, aux éléments extérieurs de mutation, le Moi développe instinctivement le rejet, la "xénophobie", repoussant systématiquement ce qui ne répond pas au "préétabli" (les creux initiaux dans la cire).
A maturité psychique, un constat dramatique s'impose : ce qui nous a permis de survivre nous empêche maintenant de vivre !
Dans le processus d'individuation, le retrait des projections (voir ici ) vide le Moi de sa substance, on est plus proche de la crucifixion que de l'extase. Le pôle contraire, jusqu'alors refoulé et inconnu, doit être intégré et cela ne peut se comprendre qu'après coup...les périodes de trouble, de doute et d'angoisse sont incontournables.
Un sacrifice s'impose : celui de la position unilatérale initiale confondue avec l'unité de l'être.
La fameuse mise en tension des opposés (notion complexe, retenons , pour le moment, que le couple d'opposés central est conscience / inconscient) ne conduit pas à un idyllique équilibre du "juste milieu" mais presque toujours à un "abaissement". Lorsque survient le fameux troisième terme (le produit de la tension des opposés, ni fusion, ni confusion pour autant), admis, le plus souvent, de "force" par le Moi, les idéaux, qui sont toujours des valeurs «hautes», s'effondrent et perdent tout leur prestige.
Qui peut pleinement réaliser ce que signifie l'effondrement du monde de ses idéaux et de la souffrance qui l'accompagne ?
Pour reprendre une jolie métaphore, dont je ne me souviens malheureusement pas de la source, "il semble que, sur cette voie de l'individuation, plus que partout ailleurs, noblesse oblige. Tout se passe comme si, sur cette voie, les dieux psychologiques, une fois alertés, devenaient jaloux."
Ce billet n'est pas teinté de pessimisme mais se veut réaliste.
Pour une note positive, j'invite le lecteur à revenir à la fin de ce billet.
On pourra gloser pendant des heures, il est dans la nature de l'humain de se figer pour se construire (édification de l'ego) avec le devoir de tout démolir dans la foulée (individuation, changement de centre)...et cela coûte souvent ce qu'il y a de plus cher !