Savoir et non croire
Dans ses travaux autour du phénomène religieux, Jung se réfère à l’étymologie latine relegere dans le sens ancien d’attention scrupuleuse, d’attitude privilégiant la conscience, se distinguant du verbe religare, repris par les Pères de l’Église dans cette autre acception qui a prévalu et qui met l’accent sur le lien avec "la divinité".
Ce choix n'est pas anodin car, dans la relation de l'homme au sacré, Jung place bien la primauté de l'expérience individuelle à toute autre proposition. Tant que la religion n'est que croyance et forme extérieure, et n'est pas devenue une expérience spirituelle intérieure, rien de fondamental n'aura été fait.
L'herne - C.G. Jung / realise par Michel Casenave. - Paris : L'Herne, 1984
Avec un peu de recul, on constate que c'est une moralisation excessive du corps, des instincts, et une négation outrancière de la nature qui semblent avoir disposé à l'émergence de la psychanalyse freudienne.
De la même façon il semblerait qu'au sein de nos sociétés occidentales et depuis fort longtemps, notre époque en étant peut-être l'apogée, dans bien des domaines, y compris religieux, l'unilatéralité, l'hypertrophie de la conscience et la toute-puissance de la raison aient fini par occulter la capacité d'autonomie de ce qu'elles avaient maintenu de côté dans le même mouvement, et se soient crues capables d'enfermer des aspects considérés indésirables dans un placard. C'est mal connaître la propension de l'inconscient à rechercher "la lumière" !
La croissance de la personnalité se fait a partir de l'inconscient.
Jung, Les Racines de la Conscience, p.280
Si la conscience a besoin de la raison pour sortir peu à peu du chaos de l'irrationnel et tenter d'y créer un ordre, l'homme peut-il pour autant s'identifier totalement à la raison et définir la réalité uniquement en termes rationnels et scientifiques ? La part irrationnelle de l'existence, ou, pour être plus précis, sa part non "rationalisable", peut-elle être définitivement inféodée ou laissée dans l'ombre la plus profonde ?
Plus l'homme s'est emparé de la nature, et plus l'admiration qu'il
ressentait pour son propre savoir et pouvoir lui est monté à la tête et
plus s'est approfondi son mépris pour tout ce qui n'était que naturel et
occasionnel, c'est-à-dire pour les données irrationnelles de la vie,
dans lesquelles il faut inclure la psyché autonome, objective, qui est
précisément tout ce qui est en marge du conscient.
Jung, Présent er avenir, p82
Non pas réenchanter mais inviter
Constat assez paradoxal, il semblerait que le monde ait progressivement perdu une partie de son sens à force d'être expliqué scientifiquement.
Avec le recul des "pratiques magiques" et des croyances religieuses qui contribuaient auparavant à donner un sens aux phénomènes naturels, le monde s'est peu à peu "désenchanté"...en apparence !
En effet, des résurgences de toutes natures, ayant l'irrationnel comme constituant commun - pratique de l'alchimie autrefois, intérêt pour l'astrologie, l'ésotérisme ou pour l'occultisme aujourd'hui -, diffusent toujours un parfum capiteux et attirant, aux volutes mystérieuses.
Il convient de tenter de saisir la signification de ces résurgences et de l'objet réel de ces pratiques. Elles apparaissent comme une tentative, toujours renouvelée, de ne pas laisser en ruine le pont reliant l'homme à la Nature, à « l'âme du monde », correspondant, à l'échelle de l'individu, à sa dimension instinctive et irrationnelle.
En occident, nous sous-estimons l’âme humaine, nous negligeons de la cultiver. Et cela explique qu'un chrétien, tout croyant qu'il est, puisse rester un primitif. Il a situe Dieu en dehors de lui, il n'en a pas fait expérience intérieure.
Jung, L'Herne p.352
Ces résurgences donc, aident l'homme à progressivement distinguer le Dieu Inconnaissable et l'image qu'il s'en fait, à réaliser que ses images de Dieu sont fatalement marquées par des restrictions liées à sa condition humaine, notamment ses images paternelles et maternelles.
Dans la clinique de Jung, ce travail d'anamnèse doit être l'objectif primordial.
Cette prise de conscience n'est qu'une étape, indispensable, certes, mais insuffisante.
Une fois les scories de cette purification initiale balayés, il apparaît essentiel (essence-ciel) d'identifier puis de nourrir et développer la singularité de sa relation au sacré, à Dieu, à la Nature qui appellera continuellement à l'expansion...
Et l'histoire démontre, quoi qu'on en dise, qu'un chemin de foi, c'est un chemin où, inlassablement, il est demandé de « quitter Dieu pour Dieu », de se déprendre de l'image de Dieu qu'il se faisait jusque-là, de libérer progressivement Dieu de ses projections humaines, pour, enfin, atteindre "Dieu au-delà des dieux".
Ce que le monde pense de expérience religieuse, conclut Jung, est indifférent a celui qui l'a vécue. Il possède un immense trésor, une source de vie et de beauté, qui a donne un sens a son existence. Il a, à présent, la paix, la confiance et la foi.
Jung, L'Herne, p.337