On distingue chez les grecs 3 formes de temps. - Chronos est la plus proche de l'acception contemporaine, écoulement linéaire du passé vers le futur, définissant la durée.
- L'Aïon est, en quelque sorte, le temps de la détermination, celui des périodes, des "ères", souvent assimilé à la notion du temps cyclique.
- Enfin, le Kairos, peut être défini comme l'instant de l'opportunité.
Il est intéressant de noter que le Kairos utilisé dans la Bible désigne les moments d'accomplissement des desseins de Dieu.
Du côté grec
A l'origine, Kairos est représenté comme dieu des occasions opportunes. Son caractère fugace, volatile, insaisissable, explique les ailes à ses talons que l'on retrouve sur les représentations et qui lui confère cette célérité.
Ses prêtres, à l'instar du dieu, étaient rasés à l'arrière du crane et se laissaient pousser une longue mèche à l'avant.
Face au Kairos, il existe trois possibilités :
-
Ne pas le discerner,
- Réaliser sa présence mais ne pas avoir l'acuité suffisante pour le saisir,
- Avoir la capacité de le voir et d'empoigner sa mèche.
Cette étonnante mèche témoigne que, malgré sa rapidité, le Kairos nous offre toujours une possibilité de le saisir...
Que porte le Kairos ?
Contrairement aux deux autres formes du temps, le Kairos porte un sens personnel à chacun. Il n'est jamais commun à deux personnes.
S'il incarne la bonne opportunité, celui qui maîtrise le Kairos sera porté par le succès alors que celui qui ne le voit pas connaîtra des réussites plus "laborieuses".
Chronos nous emporte, tel le courant de la rivière, tous, sans exception ni distinction, mais Kairos ne se présente qu'en des points précis et distincts pour tous !
Le temps du Chronos est linéaire et sagittal alors que le temps du Kairos est en lien avec notre intériorité, singulière.
Créant un espace de conjonction entre le monde et nous, le Kairos partage des similitudes avec la synchronicité. De la même manière, le Kairos joue un rôle déterminant dans nos vies, car le moment juste, opportun, porte en lui un basculement, un point d'inflexion qui crée un "avant et un après".
Comment attraper la mèche ?
Aristote s'est, notamment, penché sur la question dans ses traités d'éthique et un mot revient dans sa démonstration : Phronesis.
Une définition, insatisfaisante car le mot n'a pas d'équivalent propre, pourrait être prudence. Plus satisfaisant pourrait être l'idée de "sagesse pratique".
La phronesis est l'art de la vision juste pour soi, au bon moment. Celui qui a su apprendre à se connaître, au-delà de toute concession, et qui, par cette connaissance fine de soi, possède le discernement de voir ce qui est bon pour lui.
Sous ce terme, les grecs vont bien plus loin car ils postulent le fait que cette connaissance de soi peut amener à la (re)connaissance de l'amour des dieux pour nous...une union réciproque en somme.
Le Kairos devient alors l’instant fugitif mais essentiel, soumis au hasard mais lié à l’absolu.
Si l'on en revient aux boussoles psychologiques de l'être, la transcription d'une bonne appréhension du Kairos semble correspondre au fonctionnement harmonieux de la fonction sentiment et de la fonction intuition. Pour un instant suspendu entre temps profane et temps sacré, quoi de plus naturel que d'en appeler à une fonction rationnelle couplée à une fonction irrationnelle.
«Le kairos est un don, et le don est un kairos; l'intervention du dieu dans le sort des mortels en modifie la temporalité, et l'on comprend dès lors que l'un des sens de kairos ait désigné le moment fugace où tout se décide, où la durée prend un cours favorable à nos vœux. (...) L'irruption soudaine du kairos, c'est-à-dire d'un temps visité par le dieu, se marque en général chez Pindare, par l'apparition de la lumière. (...) Lorsque l'orage a bien enténébré la terre, soudain le vent faiblit, la pluie s'arrête, la nue s’entrouvre - et c'est l'embellie, une clairière de lumière soudain, dans un lieu de désolation. L'homme a senti le passage du dieu, et tel est le kairos. (...) Le kairos est une seconde d'éternité. »
Pindare de Gilbert Romeyer Dherbey.