Je n'étudie plus, avec assiduité, les livres d'étude de Jung, l'exigence de leur lecture n'est plus compatible avec ma vie actuelle, mais je m'y réfère régulièrement car cela me semble une impérieuse nécessité pour écrire précisément sur le thème de la psychologie analytique.
Pour ce qui concerne les "livres d'accès à sa pensée", j'en ai tant parcouru ces 15 dernières années que je pensais, assez orgueilleusement, "avoir fait le tour".
Il y a quelques semaines, mon regard tombe sur cet ouvrage, au titre volontairement aguicheur. Une fois n'est pas coutume, je décide d'aller au-delà de mes aprioris et de l'acheter.
Grand bien m'en a pris !
Enfin, un livre qui porte un témoignage vivant, à la subjectivité assumée. Un regard sur Carl Jung comme "homme du siècle", mais aussi et surtout, comme pionner d'une méthode analytique hors norme...
Quelques critiques en préambule
Tauber et Jung - 1959 |
Tant de qualificatifs élogieux, de petits poèmes qui lui sont dédiés au fil des pages, ne laissent guère de doute quant à l'intensité de l'image de son "guérisseur" portée par la psyché de la jeune femme. Elle le nomme, à plusieurs reprises, son gourou (à prendre, évidemment, dans l'étymologie sanskrit de Maître).
Encore plus marquant, la fréquence des rêves de Sabi dans lesquels apparaissent directement Jung...
Alors quoi ? Sommes nous dans un cas classique de contamination psychique, de transfert mal vécu, d'ascendance invisible, de complexe paternel à dénouer ?
Sur ces questions, nous engageons le lecteur à faire sa propre opinion.
Après la lecture de ce livre, mon opinion personnelle est claire et sans appel : quand le "un flux porté par la Nature" est alimenté et non pas ralenti voire stoppé, nous sommes en face d'une source de vie...
Et Sabi témoigne, avec émotion, de sa (re)connexion à la vie grâce au travail engagé avec Jung.
Nature et contexte de l'ouvrage
L'ouvrage se présente comme un journal intime, et est assumé d'ailleurs comme tel.
Sabi le lègua à son fils, Christian, accompagné de ces quelques mots, quelque peu énigmatiques :
"Fais en ce que tu veux; tu peux le brûler ou bien, si tu trouves qu'il peut être utile à quelques personnes, tu pourras aussi le publier après ma mort."
Sabi rencontre Jung pour la première fois en 1945, après une de ses conférences.
Après quelques années d'analyse avec Barbara Hannah (1891-1986), proche collaboratrice de Jung, le "Maître", qui deviendra par la suite un ami proche de la famille, accepte de travailler avec elle, à partir de 1950, il a alors 75 ans.
Quand on a saisi le cadre de vie de Jung à ce stade de sa vie (à travers les correspondances et quelques autres témoignages), on comprend pourquoi leurs rencontres furent rares, pas toujours programmées, peu régulières, mais d'une intensité et profondeur parfaitement restituées par la plume de Sabi.
Leur relation entamée en 1945, "régularisée" dès 1950, durera jusqu'au "départ" de Jung (juin 1961).
Sans tenter de dévoiler les processus psychiques intimes qui émergèrent en elle, par nature, indicibles, Sabi nous entraîne avec elle dans des échanges qui ont contribué à changer sa vie et son regard intérieur...Ce faisant, elle nous permet de découvrir un Jung âgé, sage, érudit, mais tout aussi facétieux, bon vivant, affable.
Nous sommes à côté d'elle quand Jung traduit ses rêves, interprète ses tirages de géomancie, de Yi-King, de tarot, l'exhorte à écouter son "grain de folie qui sommeille", gronde pour se faire entendre et sourit pour apaiser son âme tourmenté...
Ce livre ne s'adresse pas spécifiquement aux "étudiants de la pensée" mais, pour une fois, aux curieux.
Curieux qui souhaitent "toucher" le Jung au-delà des conventions de tous genres, "sentir" sa présence, pressentir les énergies qui l'accompagnaient à la fin de son séjour terrestre, quand il achevait, pour un temps au moins, "l'histoire d'un inconscient qui a accompli sa propre réalisation" (Ma Vie).
Quand on a saisi le cadre de vie de Jung à ce stade de sa vie (à travers les correspondances et quelques autres témoignages), on comprend pourquoi leurs rencontres furent rares, pas toujours programmées, peu régulières, mais d'une intensité et profondeur parfaitement restituées par la plume de Sabi.
11 ans et une vie qui change
Leur relation entamée en 1945, "régularisée" dès 1950, durera jusqu'au "départ" de Jung (juin 1961).
Sans tenter de dévoiler les processus psychiques intimes qui émergèrent en elle, par nature, indicibles, Sabi nous entraîne avec elle dans des échanges qui ont contribué à changer sa vie et son regard intérieur...Ce faisant, elle nous permet de découvrir un Jung âgé, sage, érudit, mais tout aussi facétieux, bon vivant, affable.
Nous sommes à côté d'elle quand Jung traduit ses rêves, interprète ses tirages de géomancie, de Yi-King, de tarot, l'exhorte à écouter son "grain de folie qui sommeille", gronde pour se faire entendre et sourit pour apaiser son âme tourmenté...
En conclusion...
Ce livre ne s'adresse pas spécifiquement aux "étudiants de la pensée" mais, pour une fois, aux curieux.
Curieux qui souhaitent "toucher" le Jung au-delà des conventions de tous genres, "sentir" sa présence, pressentir les énergies qui l'accompagnaient à la fin de son séjour terrestre, quand il achevait, pour un temps au moins, "l'histoire d'un inconscient qui a accompli sa propre réalisation" (Ma Vie).
Quelques extraits
… En fait, on n'a pas besoin d'une "analyse" quand on a des liens véritables et sincères et qu'on arrive à penser d'un point de vue psychologique. Soyez vraie, allez à l'essentiel. De cette manière, les personnes qui vous entourent seront obligées, elles aussi, de se tourner vers leur propre réalité. Les liens deviendront alors véritables et authentiques. p49
... « La cuisine, c'est la terre ! Pourquoi donc le sens du goût aurait-il moins d'importance que l'ouïe ? » répondait-il à nos sourires incrédules. « Il est difficile et dangereux de cuisiner sur un feu ouvert. C'est de la magie ! Le feu brûle et on s'enflamme en sa présence ; il faut ajouter mille et une choses pour assurer la réussite. Les jurons en font naturellement partie (comme sur un bateau à voile !). Tous les cuisiniers et cuisinières sont des "gens qui ont un grain", ils sont un peu piqués, parce qu'ils ont affaire au feu... »
Après un verre de Bourgogne, je lui ai demandé, la bouteille à la main, s'il en voulait encore. D'un ton catégorique, il a dit : «Non, je ne bois qu'un seul verre», puis il m'a pris la bouteille des mains en ajoutant : «ou un et demi», et il s'est servi lui-même ! p95
Il me fait visiter la tour et me montre les transformations effectuées, ses pierres sculptées, et me parle de son projet de peindre le plafond. Il est incroyablement actif, et c'est un véritable artiste ! Puis je suis le vieil homme aux lourds sabots de bois dans l'escalier étroit et usé qui mène à la chambre de la tour. Cette pièce est chaude et agréable, mais l'air est très lourd. On a le sentiment qu'il se passe en permanence des choses importantes dans ce lieu. Il s'installe confortablement dans son vieux fauteuil, qui me semble près de s'écrouler, bourre tranquillement sa pipe et me regarde...
... avec ce regard, on se retrouve tout d'un coup en plein cœur du monde, là où le destin prépare les événements. Confronté à Jung, on est dans l'essentiel, on est totalement soi-même. C'est un magnifique sentiment de liberté. p125
Je n'ai pas envie de poser des questions ni de savoir, mais simplement d'être assise près de lui et de sentir que son cœur déborde de bonté. C'est précisément là, sur ce bout de terre, qu'une nouvelle vie s'éveille en moi, chaude et vraie. Je la ressens et la lui offre pleinement.
Il parle de sa vie, sans commencer au début. Il suit le fil de ses pensées, remonte à des temps immémoriaux. Nous avons toujours parlé d'éternité en ce lieu. Aujourd'hui, c'est sûrement la dernière fois : cette pensée me revient sans cesse à l'esprit, et je ne veux rien troubler par des propos personnels, ne rien dire, ne pas poser de questions, uniquement être. Mais c'est lui qui me sort de là, qui revient au temps présent, au niveau si horriblement humain, comme s'il allait en jaillir une force dont il avait besoin. Est-ce possible ? Je le ressens distinctement et m'en étonne : de ces instants éphémères s'écoule l'huile qui alimente la flamme éternelle... p167