mercredi 24 avril 2024

Pélerin de Compostelle comme allégorie de l'individuation

Invitation au voyage

Le pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle remonte au X° siècle. La grande époque s'étend sur les XI° et XII° siècles. Durant un millénaire, les chemins de Saint Jacques de Compostelle ont été des grands lieux de passage et d'échange, ils sont imprégnés de toute notre culture. Deux autres routes sacrées, dans le monde chrétien, valaient toutes sortes de bénédictions et d'indulgences à quiconque les parcourait : c'était celle de Rome qui menait au tombeau de Saint Pierre, son symbole était une croix et c'était celle de Jérusalem qui menait au Saint Sépulcre du Christ, son symbole était les palmes qui saluèrent le Christ quand il entra dans la ville.
Un pèlerinage peut être abordé de différentes manières et chacun l'aborde avec la culture qui est la sienne, et avec sa propre problématique religieuse, sportive, culturelle, psychologique ou mystique. Mais un pèlerinage, c'est d'abord une quête, une aventure intérieure et personnelle. Chaque étape du chemin, comme chaque fait de l'existence, revêt une valeur initiatique qu'il importe de découvrir. Le pèlerinage est une épreuve de détachement - d'arrachement de la quotidienneté - qu'il importe de vivre en tant que telle, de manière à trouver un nouvel équilibre de vie, mieux, un nouvel art de vivre. C'est également, en ce sens, du fait de tout ce que l'on abandonne, un rite de purification. Et ce dont on se purifie, c'est essentiellement de la banalité qui étouffe la conscience sous les routines. L'illumination et la révélation sont la récompense promise au terme du voyage. Le pèlerin revenant de Compostelle est souvent représenté avec un livre ouvert, symbole de la connaissance révélée. C'est le troisième aspect du pèlerinage : la conquête d'un état nouveau.
 


Notre pèlerinage part du Puy en Velay, célèbre par sa Vierge noire, forme christianisée de l'ancienne déesse Isis qui parcourut toute la Terre à la recherche des débris du corps de son frère et époux Osiris. Isis est l'initiatrice, celle qui détient le secret de la vie, de la mort et de la résurrection ; la croix ansée est le symbole de sa puissance. Isis nous invite à rechercher, au cours de notre pérégrination, les vestiges d'une connaissance perdue ou voilée et à en réaliser une synthèse vivante. C'est à un éveil de conscience que nous sommes invités. La symbolique de la Vierge noire est identique : c'est la terre avant sa fécondation, celle qui doit enfanter, la mère des dieux. La Vierge noire désigne la terre primitive, la materia prima, celle que l'artiste alchimiste doit choisir pour sujet de son grand ouvrage, c'est-à-dire sa propre transmutation.
La Vierge est souvent représentée nimbée d'étoiles. Et l'étoile, c'est le sens de Compostelle : le champ de l'étoile ou encore celui qui a reçu ou qui possède l'étoile. Le chemin de Compostelle est appelé la "voie lactée" ou encore la route étoilée.
L'étoile, c'est le signe qui annonce la naissance du 'Sauveur' et montre le chemin jusqu'à lui, signe à prendre pour nous au sens figuré de signe annonciateur et prometteur d'une nouvelle naissance, d'une régénération. Le 'Sauveur' est le symbole de la conscience nouvelle, de l'Homme total. Jacques le Majeur, Saint Jacques ou Maître Jacques, est un disciple du Sauveur, il ne le quitte pas ; avec la calebasse, le bourdon bénit et la coquille, il possède les attributs nécessaires à l'enseignement caché des pèlerins du Grand Oeuvre. C'est le porteur de l'Esprit, le Pèlerin dans la Nature. Pour nous, c'est le guide intérieur et personnel qu'il importe de découvrir sur notre sentier. C'est l'intermédiaire qui peut rendre intelligible la révélation du silence. Il est ce témoin immobile qui, en chacun de nous, regarde notre nature agir. C'est l'état intérieur dans lequel on peut se situer pour regarder le mental opérer.
L'objet du pèlerinage est donc clairement annoncé : "Conscience et Régénération".
 


C'est la première étape alchimique. Tous les alchimistes à leur début, dit-on, doivent en passer par là. Il leur faut accomplir, avec la calebasse pour viatique, le bourdon pour guide et la mérelle pour enseigne, ce long et dangereux parcours de régénération. Au figuré du moins, car c'est un voyage symbolique et celui qui veut en profiter ne doit pas quitter son laboratoire. Il lui faut veiller sans trêve sur le vase, la matière et le feu. Il doit, jour et nuit, demeurer sur la brèche. Pour l'alchimiste, Compostelle, cité emblématique, n'est point située en terre espagnole, mais dans la terre même du sujet philosophique, c'est la préparation initiale et délicate de la matière première. Route longue et fatigante par laquelle "le potentiel devient actuel et l'occulte manifeste" ! En arrivant à Compostelle la coquille, portée au chapeau, se transforme en astre éclatant, en auréole de lumière, car le premier but de transformation de la conscience est atteint. L'Adepte sait lire le Grand Livre de la Nature.
Les attributs de Saint Jacques et du pèlerin de Compostelle, avons-nous dit, sont au nombre de 3 : la calebasse, le bâton et la coquille.
 

La calebasse, qui renferme le breuvage du pérégrinant, est le signe de la purification par l'eau ; pour l'alchimiste, c'est l'image des vertus dissolvantes du mercure.
Le bâton, ou bourdon, symbolise l'endurance et le dépouillement. Il soutient la marche sur ce chemin rude et pénible ; mais c'est également une arme utile sur ce chemin plein d'imprévu et de danger. C'est une arme magique capable de mettre en œuvre les forces vitales. Lorsqu'il devient sceptre enfin, c'est un symbole de souveraineté, de puissance et de commandement, c'est l'axe du monde.
La coquille Saint-Jacques ou Mérelle de Compostelle est le symbole le plus connu. Elle est portée mystiquement par tous ceux qui entreprennent le travail et cherchent à obtenir l'étoile. On rencontre fréquemment dans les églises de grandes coquilles qui contiennent l'eau bénite. Mérelle signifie mère de la lumière. Elle sert à désigner le principe Mercure, appelé encore Voyageur ou Pèlerin, ou encore "l'eau benoîte" des Philosophes.
Pour conclure ces quelques explications, nous retiendrons que le Chemin de Saint Jacques de Compostelle est celui de la quête de l'intériorité. Il part de chacun de nous, tel que nous sommes - notre matière première - et nous conduit de dépouillement en dépouillement, de révélation en révélation, jusqu'à notre centre, source d'une vie nouvelle. Un guide intérieur nous accompagne dans ce voyage, il est symbolisé par Saint Jacques.
Se mettre à l'écoute de sa propre voix intérieure, donner vie à sa propre Présence, c'est déjà, sur la Terre, cheminer dans l'immortalité. 

dimanche 7 avril 2024

Sérendipité. Place à l'instinct !


"...l’art de trouver ce que l’on ne cherche pas 
en cherchant ce que l’on ne trouve pas..."

De nombreuses années plus tôt, je découvris ce mot dans un ouvrage de Jung. 
Tout me plaisait, à priori, dans ce mot, la consonance pleine et ronde, agréable à l'oreille, l'équilibre des syllabes. Quand son sens me fut révélé, il lui conféra alors presque un caractère magique...

Le sens général
 
La sérendipité est la découverte totalement fortuite d'une trouvaille qu'on ne cherchait pas
Ce terme a été inventé par un philosophe anglais, Robert Walpole (1676-1745), sur la base d'un néologisme (serendipity).

Il y a plusieurs sens induits qui constituent finalement, autant de degrés à considérer de la sérendipité. 
La proposition de l'ethnographie me plait tout particulièrement et c'est donc celle-ci que j'ai retenu :
  1. On découvre par hasard ce que l'on ne cherchait pas. Vraie sérendipité.
  2. On découvre autre chose que ce que l'on cherchait grâce à un concours de circonstances favorables. Vraie sérendipité.
  3. On découvre par hasard ce que l'on cherchait. Pseudo-sérendipité.
  4. On découvre grâce à un concours de circonstances favorables ce que l'on cherchait. Pseudo-sérendipité.
 
Bien entendu, les exemples sont innombrables dans l'histoire de l'humanité, de la pénicilline à la tarte Tatin en passant par l'ADN, le lecteur pourra s'amuser à les recenser à sa guise...

Et l'homme face à la sérendipité ?
 
Qui dit sérendipité, dit réception et attention, cette remarque n'est pas anodine pour la suite de notre billet.

Avec Platon et les Sophistes, le constat était déjà établi que l'on ne pouvait pas chercher ce que l'on ne connaissait pas parce que l'on ne sait pas ce que l'on doit chercher. Évident...en apparence.
La sérendipité privilégie pourtant les expériences, les ressentis, la position de guetteur, de fureteur, de vigie.

Ceux qui savent toujours où ils vont ne risquent jamais de se trouver ailleurs.

« Il fallait être Newton pour apercevoir que la Lune tombe, quand tout le monde voit qu’elle ne tombe pas » P. Valéry

La sérendipité, ce cadeau du "hasard heureux", demande une ouverture et des dispositions particulières pour émerger. 
Toucher la "perméabilité" aux choses, garder en alerte un regard de l'ensemble distinct du particulier, accepter l'inattendu et lui laisser une chance d'entrer dans nos vies, voici les critères principaux qui permettent la sérendipité.


Utile la sérendipité ?
 
Au risque d'être réducteur, il semble que la sérendipité exige une certaine qualité d'être
On peut aussi, raisonnablement, rapprocher cette qualité de celle définie par la fameuse injonction jungienne, décrivant l'attitude adaptée de l'homme face à son inconscient : "Laisser advenir".

Car oui, finalement, dans le chemin laborieux de l'individuation, la croisée de cette force structurante en nous et de notre conscience conduit, très souvent, à d'étranges rencontres, révélations, surprises et à ce que le produit de ces rencontres soit généralement tellement loin de ce que nous souhaitions initialement...c'est aussi cela la magie de la transformation qui opère, l'alchimie subtile de la vie.

Pour conclure sur le sujet, j'aimerais revenir sur cette analogie hasardeuse, voire trompeuse, que l'on fait communément entre sérendipité et synchronicité. 
Sur le "plan de l'objet" ou celui du processus engagé, on peut évoquer des similitudes. Mais rappelons, simplement, que la synchronicité tient avant tout à la notion de "révélation personnelle"'...la tarte Tatin n'a qu'à bien se tenir.
 

Plus loin
 
Deux ouvrages majeurs, assez conséquents, délicats à la digestion.


mardi 2 avril 2024

Jung, vu par lui...

 Petit extrait percutant de la première édition de Carl Gustav Jung : Guérisseur de l'âme de Claire Dunne (excellent ouvrage à lire), page 22.

C'est vrai, une force de la nature s'exprime en moi - je ne suis qu'un conduit... J'imagine que, dans bien des cas, je pourrais vous paraître sinistre. Si, par exemple, la vie vous a mené à adopter une attitude artificielle, vous n'allez pas pouvoir me supporter car je suis un être naturel. Ma présence même cristallise; je suis un ferment. Je suis perçu comme un danger par l'inconscient des gens qui vivent d'une manière artificielle. Tout en moi les irrite, ma façon de parler, ma façon de rire...Ils sentent la nature, dans son authentique expression, et je deviens un ennemi « intérieur » à abattre. Combien d’ennemis invisibles dois-je avoir en ce monde ? C’est le prix de la véritable liberté.