jeudi 9 mars 2023

Jung et la mort

Cette photo expose une pratique d'un autre temps, pouvant sembler choquante, qui consistait à réaliser un moulage du visage du défunt, ici Jung, pour le conserver. 
Ce billet peut paraître ambitieux...Il ne s'agira que d'une ébauche d'un sujet qui soulève une série de questions sans réponse définitive.
En préliminaire, le lecteur pourra s'attarder sur cette partie de vidéo, où Jung tente de parler de la mort, ou plutôt de la "posture" de la psyché face à la mort.
Au moment de l'interview, Jung a consacré une quinzaine d'années d'étude sur le rapport de la psyché et la matière et rédigé des ouvrages majeurs sur ce thème. Son œuvre est donc pleinement accompli...



Jung a mené sa vie en choisissant depuis 1912 de se laisser guider par sa lueur intérieure plutôt que par les lumières extérieures, ce n'est donc certainement pas à 84 ans que ce "vieux sage" va jouer la langue de bois.
Le thème de la métempsychose (survie de l'âme) sera écartée pour nous concentrer sur une sélection de réflexions, positions voire convictions qui vont s'imposer à Jung sur la fin de sa vie.

Le merveilleux livre de Cazenave (Jung, l'expérience interieure, ici par exemple ) nous a fourni une très heureuse source d'inspiration...
"Ce que l'on appelle la vie est un court épisode entre deux grands mystères qui n'en font en réalité qu'un seul. Je ne peux jamais m'attrister d'une disparition. Les morts ont la durée, et nous, nous ne faisons que passer."
On voit bien à de telles discus­sions ce qui m'attend lorsque je ne serai plus là qu'à titre posthume. Alors tout ce qui aura été vent et feu sera trans­formé et distillé en esprit chimique et on en fera des prépa­rations pharmaceutiques mortes. C'est ainsi que les dieux sont inhumés dans le marbre et l'or tandis que les simples mortels comme moi le sont dans le papier. "
Pessimisme, fatalisme ? 

Ces écrits provenant de correspondance (comme toutes celles mentionnées dans ce billet) ne reflèteraient-elles plutôt la lucidité de l'explorateur des âmes, qui sut, très tôt, discerner la part d'éternelle du plus dense chez l'homme.
"...je vous suis reconnaissant pour l'aide que vous m'apportez. J'en ai besoin dans les gigantesques malentendus qui m'entourent. Toutes les richesses que je parais posséder sont aussi ma pauvreté et font ma solitude dans le monde. Plus je semble posséder, plus j'ai à perdre, quand je me prépare à franchir la sombre porte. Je n'ai pas choisi ma vie avec ses manques et ses accomplissements. Elle est venue à moi avec un pouvoir qui n'est pas le mien. Tout ce à quoi je suis arrivé sert un projet que je n'ai pas prévu. Tout doit être réa­lisé et rien ne m'appartient. Je suis parfaitement d'accord avec vous : il n'est pas simple d'atteindre la pauvreté et la simplicité la plus extrême. Mais c'est ce qui vous arrive, que vous le vouliez ou non, lorsque vous en arrivez à la fin de votre existence."

Encore une fois, vision profonde et précise de celui qui a accompli une vie en pleine conscience, ou, pour être précis, qui a accompli la propre réalisation de son inconscient (Cf introduction de Ma vie). 
Pour saisir la position de Jung sur ce sujet, il convient de conserver  à l'esprit un corollaire à sa psychologie : pour celui qui a pris conscience de l'éternité nichée au fond de lui, de cette force universelle, de cette source de transcendance immanente (Deux "extrémités" qui, dans la clinique jungienne, trouve conjonction sans jamais se concilier), pour cet individu, la vision du monde et sa vie ne peuvent plus jamais être la même ! 

Jung l'évoque par la métanoïa, quand d'autres sources utiliseront différentes terminologies.
"Après la mort de ma femme, en 1955, je ressentis l'obligation inté­rieure de devenir tel qu'en moi-même je suis.  Plus tôt, je n'aurais pas été à même de le faire : je l'aurais considéré comme une présomptueuse affirmation de moi-même. En vérité, cela traduisait la supé­riorité de l'ego acquise avec l'âge, ou celle de la conscience. "
Emma Jung - Livres, Biographie, Extraits et Photos | Booknode

On pourrait s'étonner que Jung parle ainsi de supériorité de l'ego alors que sa psychologie entend justement le remettre à sa juste place. 
C'est, semble t'il, qu'il ne parle plus du complexe du moi mais de cette instance médiatrice qui est la seule à pouvoir inonder et éclairer la conscience...la conscience de l'être individué ne ressemble plus à celle de qui n'a pas opéré les douloureuses différenciations d'avec l'inconscient
On ne parle plus de cette conscience, électron libre se croyant maître de son atome, mais de cette conscience qui a pris sa position de serviteur de ce qui le constitue et le dépasse.
"Je vais sur 82 ans et non seulement je sens le poids des ans et la fatigabilité qui en résulte, mais j'éprouve aussi la très impérieuse nécessité de vivre en conformité avec les exi­gences intérieures qui sont celles de mon âge. La solitude m'est une source bienfaisante qui fait que la vie me paraît valoir d'être vécue. Parler devient assez souvent pour moi un supplice, et j'ai fréquemment besoin de plusieurs jours de silence pour me remettre de la futilité des mots. Je suis sur le chemin du départ et je ne regarde en arrière que quand je ne peux pas faire autrement. Le voyage que l'on va entre­prendre est en soi déjà une grande aventure, mais pas de celles dont on aurait envie de parler abondamment... Le reste est silence !"
Nous en revenons finalement à la notion de simplicité extrême qu'il mentionnait plus haut. 
Une âme qui a "baroudé" et s'est accomplie aspirerait donc à de nouvelles exigences : la solitude et le silence.
Comme si, dans un dialogue intérieur, l'être qui a capté cet éternel, se suffisait désormais à lui-même et devait se préparer, se concentrer (con-centrer) sur le dernier voyage qui l'attend.
On comprend mieux finalement ce que Jung entendait, dans l'interview  de Freeman, par la vie se comporte comme si elle allait se poursuivre et son conseil aux personnes âgés de vivre chaque instant comme si elle allait vivre des siècles.

L'ombre et la lumière pour faire de bonnes photos ...


J'aimerais terminer sur ces phrases qui témoignent que, bien que tout concorde à l'idée d'une survie psychique par delà la mort, la force de vie qui habite chacun est sans limite...qui peut l'entendre ?

"Le spectacle de la nature éternelle, me rap­pelle douloureusement à quel point je suis faible et éphé­mère, et l'idée d'une aequinimitas in conspectu mortis* n'a rien pour me réjouir. Comme je l'ai rêvé un jour, ma volonté de vivre est un daïmon incandescent qui, de temps en temps, me rend diaboliquement difficile l'acceptation consciente de ma condition de mortel. Tout au plus peut-on, comme l'éco­nome infidèle, sauver la face, et même cela n'est pas toujours possible, de sorte que mon maître ne trouverait même pas grande matière à louange. Mais de cela, le daïmon ne se préoccupe pas, car la vie est, au fond, comme l'acier sur la pierre. "
* sérénité dans l'imminence de la mort

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Très beau billet, Marie Louise von Franz dans son livre Les rêves et la mort en parle de la même manière :
http://www.cgjung.net/mlvf/oeuvre/les-reves-et-la-mort.htm

Benoit Mouroux a dit…

Merci pour le commentaire.

Oui, j'ai eu envie de le mentionner mais je ne pouvais pas : ni lu ni encore en ma possession.

Jean

Ariaga a dit…

Ambitieux, en effet. Merci d'être assez en forme pour aborder brillamment ce sujet auquel je ne me sens pas, en ce moment de taille à me confronter.

Ariaga a dit…

J'ai mis un lien sur avec ton article sur la note que je viens de publier.Amitiés.

Benoit Mouroux a dit…

Merci pour ton soutien Ariaga, même si ce billet fut finalement assez
spontané et donc peu "travaillé".

Amitiés,
Jean

Ariaga a dit…

Le spontané est souvent bien meilleur que le travaillé et puis des spontanés comme cela je veux bien en écrire tous les jours !

Anonyme a dit…

Je n'ai pas lu parce que pour moi Jung ne peut pas être associé à la mort, mais peut-être un jour… qui sait ?

Cher Carl

Aston

Anonyme a dit…

Ah oui, je ne sais pas si je suis dans le sujet peut-être est-ce trop personnel mais j'aimerais savoir si tu sais comment on parvient à rassurer une personne qui a peur de perdre un être cher

oui je sais ce n'est peut-être pas le bon blog mais j'essaie quand même qui ne tente rien n'a rien

Benoit Mouroux a dit…

Je ne peux pas te répondre...et honnêtement, je ne vois pas qui pourrait le faire sur un blog.

Amicalement,
Jean

Jean Gagliardi a dit…

Merci pour cet article qui aborde fort bien un sujet difficile. La lecture du livre de Von Franz, les rêves et la mort, s'impose pour approfondir. J'ose suggérer aussi un article de mon propre blogue :https://voiedureve.blogspot.com/2014/04/une-couleur-jamais-vue.html. Mais surtout, il vous intéressera sans doute de savoir que l'analyste Robert A. Johnson dit avoir vu le manuscrit original de "Ma vie" et qu'un tiers environ aurait été expurgé par la famille : justement des réflexions sur la mort, la continuité de l'âme au-delà de celle-ci, la réincarnation...