Le lien d'amitié, qui succédera à celui d'analyste et analysé, n'en déplaise aux rigoristes du genre, entre le physicien Pauli et Jung est maintenant connu, leurs correspondances même accessibles désormais (voir par exemple ici).
Mais qui connait Wolfgang Pauli (1900-1958) ?
Un surdoué des mathématiques, contemporain de Einstein dont il publiera la première synthèse des travaux, collaborant significativement aux travaux du père de la physique quantique (Werner Heisenberg, 1901-1976) et laissant derrière lui plusieurs définitions majeures de la physique des particules, en particulier le fameux, et si insaisissable pour la physique classique, principe d'exclusion ou principe de Pauli.
La rencontre avec Jung fut liée à un mal être persistant de Pauli, hanté par des séries de rêves récurrents, si persistant et profond, qu'il fut sujet à un alcoolisme qui devenait handicapant au quotidien.
L'analyse engagée conduisit à une amitié entre les deux hommes, qui ne tarira pas au cours des 25 ans d'échange (ci-dessus, couverture de l'ouvrage retraçant leur correspondance).
Leurs relation et travaux communs sur la synchronicité trouvèrent un champ de convergence pour ces deux grands esprits.
En effet, Pauli connut des déboires répétés lors de ses expérimentations avec des machines et les défaillances semblaient se produire systématiquement à son contact. Il nomma même ce phénomène, "effet Pauli".
Cette simple considération le décrédibilisa à l'époque aux yeux de certains de ses collègues, ce qu'il ne comprit et n'accepta pas.
Le rapprochement avec Jung, avec son ouverture, sa curiosité d'esprit et son extrême rigueur méthodologique, semblait donc des plus naturels.
Il faut noter également le profond intérêt de Jung pour comprendre des aspects délicats et abscons d'une science en voie de développement. Comme bien souvent, Jung, pressentait qu'une nouvelle dimension de la réalité s'ouvrait soudainement, à l'instar de la psychanalyse émergente.
Les deux protagonistes, avec un sérieux bagage philosophique, partageaient l'intuition que ce nouveau champs de la science, la physique quantique, allait ouvrir des perspectives dépassant très largement le cadre des universités.
Jung et Pauli furent tels les deux piliers d'un pont tentant d'établir l'union de la matière et de l'esprit.
Dans un essai de Pauli, on peut trouver ces mots au sujet des archétypes :
"Le processus de compréhension de la Nature, uni au plaisir que l’homme ressent lorsqu’il comprend, cela paraît, du fait de se familiariser à de nouvelles connaissances, reposer sur une correspondance, sur un ajustement ayant un rapport logique entre des images internes préexistantes dans l’âme humaine et les objets extérieurs et son mode de comportement. Cette conception du savoir naturel remonte bien entendu à Platon, et fut aussi pleinement adoptée par Kepler. Ce dernier parle en effet d’idées préexistantes dans le mental divin et imprimées dans l’âme humaine, comme des images provenant de Dieu.
Ces images originelles que l’âme peut percevoir par moyen d’un instinct inné, Kepler les appelle archétypes. Cela concorde dans une grande mesure avec les images ou archétypes primordiaux introduits dans la Psychologie par C. G. Jung, qui fonctionnaient comme patrons instinctifs d’idéation. A ce niveau, le lieu des concepts nets est assumé par des images au contenu fortement émotionnel, qui ne sont pas des pensées mais des représentations picturales, comme si nous disions qu’elles s’offrent aux yeux du mental.
Dans la mesure où ces images sont l’expression de réalités entrevues mais encore inconnues, elles peuvent aussi recevoir le nom de symboliques, selon la définition de symbolique proposée par Jung. En tant qu’agents ordonnateurs et adaptateurs de ce monde d’images symboliques, les archétypes fonctionnent, de fait, comme le pont désiré entre les perceptions sensibles et les idées, et constituent par conséquent une condition préliminaire indispensable pour le surgissement d’une théorie scientifique.”
9 commentaires:
Quelle bonne idée de parler de Pauli surtout au moment où je me suis penchée sur Psychologie et Alchimie, le livre où Jung livre une analyse symbolique et"structurelle" des rêves de Pauli. Ton texte est excellent et je t'en remercie. Amicales bises.
Je suis content que le premier commentaire soit de toi...et si élogieux, je suis comblé ;)
Pas de hasard, tes récents billets ont fait écho à mon "inspiration".
Amicales bises,
Jean
Bonjour Jean,
Nous te devons là un article très intéressant, comme d’ailleurs l’article qui le suit.
" L’effet Pauli " que tu évoques me fait penser au rêve 11 de la série des rêves de W.E.Pauli étudiée par Jung dans "Psychologie et alchimie" :
« 11. RÊVE :
Le rêveur, le médecin, un pilote et la femme inconnue voyagent en avion. Tout à coup, une boule de croquet fracasse le miroir, instrument de navigation indispensable, et l’avion est précipité vers le sol. Ici aussi on ignore à qui appartient l'inconnue. »
Dans le cours de son commentaire, Jung écrit : « Ici encore, le rêveur et les trois personnages du rêve forment une quaternité. La femme inconnue, l'anima, représente toujours la fonction indifférenciée, « inférieure », qui est le sentiment dans le cas de notre sujet. La boule de croquet est liée au thème du « rond » ; elle est par conséquent un symbole de la totalité, c'est-à-dire du soi, qui est présenté ici comme étant hostile a l'intellect (au miroir). Il est évident que le rêveur « navigue » trop en fonction de l'intellect et perturbe ainsi le processus d'individuation. Dans le traité De vita longa, Paracelse nomme les quatre, Scaiolae, mais le soi, Adech (d'Adam = le premier homme). Comme le souligne Paracelse, tous deux causent des difficultés dans 1' « œuvre », de sorte qu'on peut presque parler d'une hostilité de la part d'Adech. » C.G.Jung, " Psychologie et alchimie », Éditions Buchet/Chastel.
Ne peut-on se dire que " l’effet Pauli " serait l’équivalent du fracassement du miroir par la boule de croquet du rêve, serait la traduction dans la matière, par le jeu de synchronicités incontrôlables, de l’hostilité du Soi au désir de saisie trop intellectuelle des réalités "ultimes" que manifestait le physicien Pauli au détriment d’autres aspects de sa psyché qui devaient participer davantage à cette saisie, que le chemin de l’individuation de Pauli en dépendait et exigeait cette participation de l’homme tout entier afin de se poursuivre. Il lui aurait ainsi été rappelé par le Soi que la réalisation du Soi est ce qui fait le sens d’une existence humaine, et cela par des voies qui sont celles choisies par le Soi ?
Amezeg
Bonjour Amezeg,
C'est une hypothèse tout à fait intéressante que tu nous livres là; bien évidemment, personne ne pourra définitivement la confirmer mais l'énergie dispensée par Pauli dans son travail autour des implications philosophiques de la "nouvelle science" de l'époque semble bien indiquer une inflexion dans ses orientations personnelles.
Des 5 pères de la physique quantique, c'est tout de même le seul qui ait mesuré l'impact potentiel et "systémique" de la découverte des quantas et de leurs propriétés...la suite nous donnera raison.
Amicalement,
Jean
"lui et non pas "nous", lapsus intéressant, héhéhé
Bonjour Jean,
Un petit message pour te dire que ce billet sur ton blog a été écrit exactement cent ans après la première plongée expérimentale de Jung dans l'inconscient. Voici un texte d'Ariaga qui en fait foi:
http://ariaga.hautetfort.com/archive/2007/09/12/c-g-jung-se-laisse-tomber-dans-l-inconscient.html
Amicalement,
Michelle
Etonnante synchronisation, merci beaucoup pour cette remarque qui permet de plonger aussi dans d'anciens billets d'
ariaga
Amicalement,
Jean
Je viens de m'apercevoir que Amezeg fait d'intéressantes fouilles dans mes caves. Qui sait ? Peut-être y trouvera t-il une bonne bouteille pour célébrer la fête de la Lumière. Amicales bises;
Ouiiii, c'est l'occasion de sortir les petits bijoux de la cave.
C'est notre chère Michelle qui en est à l'origine, bien que Amezeg ait initié la fête.
Bises
Jean
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