lundi 5 mars 2012

Synchronicité (2) - Premiers approfondissements

Kaïros

"L’Orient fonde sa pensée et son évaluation des faits sur un autre principe. On n’a même pas de mot pour rendre compte de ce principe. L’Orient a bien sûr un mot pour cela mais nous ne le comprenons pas. Le mot oriental est Tao... J’utilise un autre mot pour le nommer mais c’est assez pauvre. Je l’appelle synchronicité."
 
Quelques mots de Jung, dans Psychologie et alchimie, pour entamer ce sujet qui tentera d'approfondir les notions de synchronicité, faisant suite à ce billet.

Le concept de synchronicité est apparu très tôt chez Jung, la première "trace" se retrouve dans un discours d'éloge funèbre de son ami Wilhelm (celui qui l'a initié au Yi King) en 1930 mais il faudra attendre plus de 20 ans, suite à l'étroite collaboration de Pauli (scientifique de renommée mondiale), pour voir éditer un texte sur le sujet, La synchronicité comme principe des relations acausales - 1952...on connait la frilosité de Jung à évoquer ces sujets qui pouvaient écorner sa crédibilité.

L'archétype du sens

Comme on l'a vu, lors d'une synchronicité, le sens semble être le point de jonction entre l'individu et l'évènement.
"La synchronicité présuppose un sens a priori par rapport à la conscience humaine, un sens qui en apparence se trouve à l’extérieur de l’être humain." Jung
Évidemment, cela n'est pas sans poser un réel souci d'approche :
"On est habitué à considérer que le concept de "sens" implique un phénomène ou un contenu physique dont on ne suppose pas qu’il puisse exister également à l’extérieur de notre psyché... Lorsque l’on considère l’hypothèse qu’un même sens (transcendant) peut se dévoiler à la fois dans la psyché humaine et dans l’arrangement d’un évènement simultané extérieur et indépendant, alors on entre en conflit avec nos idées scientifiques et épistémologiques traditionnelles." Jung, La synchronicité comme principe de lien acausal
Rapidement, Jung va émettre l'hypothèse (qu'il confirmera plus tard) que le sens est un archétype.
Il est important de rappeler que c’est la coïncidence qui fait advenir le sens. 
Le sens n’est qu’une potentialité inconsciente, un contenu psychique activé, certes, mais inconscient. Et c'est précisément cet état d’inconscience de ce contenu psychique activé qui est la condition sine qua non de l’apparition de phénomènes synchronistiques, lesquels "s’évanouissent" lorsque le contenu en question franchit le seuil de la conscience.
Cette conception d'un sens préexistant se retrouve déjà dans la pensée platonicienne.
Jung et Pauli conclurent alors que la synchronicité répondait à une loi à part, l'ordre acausal.

Acausalité

Ici se situe un point de discorde entre Jung et Pauli.
Pauli, à juste titre pensons nous, considérait que si la synchronicité opérait selon un principe organisateur (l'archétype du sens), une causalité, certes d'une profonde complexité, pouvait être établie. Mais Jung ne parle pas selon les mêmes conventions : pour lui, seuls les phénomènes mesurables ou observables dans l'espace et le temps permettent l'application du concept de causalité. Ainsi le domaine de la symbolique auquel répond l'archéype n 'obéit pas à cette loi.
Pour autant, il n'exclut pas un lien de causalité (comme évoqué par Pauli) mais considère que ce lien est indiscernable pour l'esprit humain.

Rapport Psyché/Matière : L'Unus Mundus

"Je n’oserai pas faire des prévisions sur l’avenir, averti que je suis par les échecs de tous les efforts prématurés d’unification de l’histoire de l’esprit. Je remarque seulement que, depuis le XVIIème siècle, les activités de l’esprit humain ont été divisées de façon stricte, mais que je conçois qu’une victoire des contraires, comprenant également la synthèse de la compréhension rationnelle et de l’expérience mystique de l’unité, est le mythe - déclaré ou non - de notre époque." Pauli
Jung, empruntant le terme à l'alchimiste du XVIIe Gerhard Dhorn, désigna cette unité qui transcende temps, l'espace, le corps et l'esprit, comme l'Unus Mundus.
Dans son énorme opus Mysterium conjunctionis, il va décliner de nombreux exemples et tenter d'éclaircir cette notion très délicate à appréhender.
Pauli a de son côté travaillé également sur ce concept, ce qui est moins connu évidemment tant son œuvre majeure reste sa contribution à l'édification de la mécanique quantique.
Pour les plus courageux, je renvois à son ouvrage,  Des exemples modernes de la physique "d’arrière-plan".
"La "correspondance", les "paires de contraires complémentaires" et la "globalité" apparaissent indépendamment dans la physique et dans les conceptions de l’inconscient" 

"D’après la conception exposée ici, la quaternité ne serait pas mise en valeur à l’intérieur de la physique, mais dans la mesure où la paire de contraires de la physique se trouve à nouveau reflétée dans le domaine psychique, on attribue une quaternité à la globalité composée de la physique et de la psychologie. Il me semble possible qu’il y ait des phénomènes où la quaternité entière joue un rôle essentiel et pas seulement les paires de contraires physique et psychique de leur côté. Dans des tels phénomènes, on ne pourrait plus définir judicieusement des différences conceptuelles comme "physique" et "psychique"

7 commentaires:

La Licorne a dit…

Je viens de lire le livre de Luc Bigé "L'homme réunifié". A la fin du livre, il consacre tout un chapitre à la synchronicité avec un point de vue très original...il met cela en rapport avec l'"univers supralumineux" supposé par Régis Dutheil...
Il dit :"Les phénomènes de synchronicité seraient le fruit du télescopage de deux mondes séparés par un mur de lumière."
Malheureusement pas la place de détailler tout ça dans un "petit" commentaire !

Ariaga a dit…

Excellent, clair, j'aurais aimé l'écrire ! Amitiés.

Benoit Mouroux a dit…

Bonjour Licorne,

Merci pour cet apport...oui je connais les travaux de Dutheil.

J'ai mis ce billet sur le forum, peux être pourrons nous en parler plus en détail ?

Amitiés

Benoit Mouroux a dit…

Bonjour Ariaga,

Toi aussi, tu sais être flatteuse.

Merci,
Jean

Kélilan a dit…

"Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoire, que sont le rêve et la réalité en une réalité absolue, une surréalité."

André Breton "Manifeste du Surréalisme"1929

Merci pour ce texte clair ! :)

Benoit Mouroux a dit…

Merci à toi pour cet apport Kélilan

Michelle a dit…

Merci Jean,

Je retiens que le sens est un archétype ... notion nouvelle pour moi. Intéressant article!

Amicalement!