mercredi 13 juin 2012

Kairos - Le temps de l'opportun

On distingue chez les grecs 3 formes de temps. 
  1. Chronos est la plus proche de l'acception contemporaine, écoulement linéaire du passé vers le futur, définissant la durée.  
  2. L'Aïon est, en quelque sorte, le temps de la détermination, celui des périodes, des "ères", souvent assimilé à la notion du temps cyclique. 
  3. Enfin, le Kairos, peut être défini comme l'instant de l'opportunité.
Il est intéressant de noter que le Kairos utilisé dans la Bible désigne les moments d'accomplissement des desseins de Dieu. 
 
 Du côté grec
 
A l'origine, Kairos est représenté comme dieu des occasions opportunes. Son caractère fugace, volatile, insaisissable, explique les ailes à ses talons que l'on retrouve sur les représentations et qui lui confère cette célérité.
 
L'esprit de Kairos – La Fabrique de Kairos

Ses prêtres, à l'instar du dieu, étaient rasés à l'arrière du crane et se laissaient pousser une longue mèche à l'avant. 
Face au Kairos, il existe trois possibilités :
  1. Ne pas le discerner, 
  2. Réaliser sa présence mais ne pas avoir l'acuité suffisante pour le saisir, 
  3. Avoir la capacité de le voir et d'empoigner sa mèche.
Cette étonnante mèche témoigne que, malgré sa rapidité, le Kairos nous offre toujours une possibilité de le saisir...

Que porte le Kairos ?
 
Contrairement aux deux autres formes du temps, le Kairos porte un sens personnel à chacun. Il n'est jamais commun à deux personnes.
S'il incarne la bonne opportunité, celui qui maîtrise le Kairos sera porté par le succès alors que celui qui ne le voit pas connaîtra des réussites plus "laborieuses".

Chronos nous emporte, tel le courant de la rivière, tous, sans exception ni distinction, mais Kairos ne se présente qu'en des points précis et distincts pour tous !
 
Le temps du Chronos est linéaire et sagittal alors que le temps du Kairos est en lien avec notre intériorité, singulière.
 
Man Saut De La Lumière De La Montagne De La Lumière De La Montagne Sur La  Banque D'Images Et Photos Libres De Droits. Image 91658872.
Créant un espace de conjonction entre le monde et nous, le Kairos partage des similitudes avec la synchronicité. De la même manière, le Kairos joue un rôle déterminant dans nos vies, car le moment juste, opportun, porte en lui un basculement, un point d'inflexion qui crée un "avant et un après".

Comment attraper la mèche ?
 
Aristote s'est, notamment, penché sur la question dans ses traités d'éthique et un mot revient dans sa démonstration : Phronesis
Une définition, insatisfaisante car le mot n'a pas d'équivalent propre, pourrait être prudence.  Plus satisfaisant pourrait être l'idée de  "sagesse pratique".
La phronesis est l'art de la vision juste pour soi, au bon moment. Celui qui a su apprendre à se connaître, au-delà de toute concession, et qui, par cette connaissance fine de soi, possède le discernement de voir ce qui est bon pour lui.

Sous ce terme, les grecs vont bien plus loin car ils postulent le fait que cette connaissance de soi peut amener à la (re)connaissance de l'amour des dieux pour nous...une union réciproque en somme.
Le Kairos devient alors l’instant fugitif mais essentiel, soumis au hasard mais lié à l’absolu.

Si l'on en revient aux boussoles psychologiques de l'être, la transcription d'une bonne appréhension du Kairos semble correspondre au fonctionnement harmonieux de la fonction sentiment et de la fonction intuition.
Pour un instant suspendu entre temps profane et temps sacré, quoi de plus naturel que d'en appeler à une fonction rationnelle couplée à une fonction irrationnelle.

«Le kairos est un don, et le don est un kairos; l'intervention du dieu dans le sort des mortels en modifie la temporalité, et l'on comprend dès lors que l'un des sens de kairos ait désigné le moment fugace où tout se décide, où la durée prend un cours favorable à nos vœux. (...) L'irruption soudaine du kairos, c'est-à-dire d'un temps visité par le dieu, se marque en général chez Pindare, par l'apparition de la lumière. (...) Lorsque l'orage a bien enténébré la terre, soudain le vent faiblit, la pluie s'arrête, la nue s’entrouvre - et c'est l'embellie, une clairière de lumière soudain, dans un lieu de désolation. L'homme a senti le passage du dieu, et tel est le kairos. (...) Le kairos est une seconde d'éternité. »

 Pindare de Gilbert Romeyer Dherbey.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Jean,

Il me semble que tu as saisi le Kairos par la mèche et que c’est ce qui nous vaut ce très intéressant nouveau billet. En te lisant, je me suis souvenu du pompon à saisir promptement lorsqu’enfant je tournais dans les manèges et que le préposé à la manœuvre avait la bonne idée et la gentillesse de faire descendre cette grosse mèche tressée à portée de mes mains. Ce forain poussait même parfois la gentillesse jusqu’à la faire se poser un instant sur les genoux des jeunes voyageurs trop distraits par la ronde colorée et fascinante qui les emportait et captait toute leur attention...

Merci à toi, pour ce souvenir aussi qui m’est soudain revenu en mémoire en te lisant.

Amezeg

Benoit Mouroux a dit…

Merci Amezeg,

Merci pour ce commentaire, merci pour ce que tu y livres et merci aussi à toi pour cette évocation qui fait connexion dans mon esprit...

Il y a toujours un forain au manette, prêt à nous envoyer ce cadeau, à nous d'avoir la patience et l'attention pour le saisir.

Amitiés,
Jean

bonin daniel a dit…

article de très belle tenue jean, tes articles commençaient à me manquer, en t' espérant en forme.
bien à toi
daniel

Benoit Mouroux a dit…

Merci Daniel,

Oui j'ai retrouvé la forme...reste à savoir laquelle (plaisanterie).

Amitiés,
Jean

Anonyme a dit…

Permettez-moi de signaler une faute d'orthographe : "du côté grecque" ; "côté" est masculin.
Il faut donc écrire : "du coté grec".
Merci pour vos articles passionnants.

Benoit Mouroux a dit…

Très juste, énorme étourderie...corrigée

Anonyme a dit…

Cher Carl, peut-on “diriger” le kairos et faire en sorte qu'il soit le bon côté à prendre et pas le mauvais ?

Benoit Mouroux a dit…

Carl ne veut pas répondre et pourtant, je lui ai laissé le temps.

Il n'y a pas de qualification de bon ou de mauvais puisque cela est un jugement subjectif...le Kaïros porte une dimension au-delà du subjectif, c'est ce qui "peut et doit" être...me semble t'il.

Jean