dimanche 4 novembre 2012

La libido selon Jung (1)

 

"On peut dire que dans le domaine psychologique le concept de libido a la même signification que celui d'énergie dans le domaine de la physique depuis Robert Mayer*".


 
Cette phrase, extraite de Les métamorphoses de l'âme et ses symboles (page 237), contient, selon nous, le ferment qui inspirera l’œuvre de Jung ; cette ouverture vers "les autres sciences" marquera aussi un point de rupture avec Freud qui tentait alors d'enraciner les fondations de la psychanalyse naissante (au risque, peut-être, de l'enfermer dans des dogmes peu compatibles avec la nature psychique).
Pour le zurichois, la sexualité n'est qu'une des formes que revêt l'énergie vitale psychique, qu'il associe à la libido. Il est bon de noter que Freud lui-même, dans ses essais plus tardifs sur la théorie sexuelle, reconnaîtra que la libido peut être contenue dans des forces instinctives (pulsions) autres que sexuelles.
Essayons de poser quelques éléments de définition et d'encadrement de la notion de libido chez Jung.

Unité d'intensité psychique
 
La libido représente l'intensité du processus psychique, sa valeur psychologique en quelque sorte. 
Toutefois il ne s'agit pas d'une valeur attribuée, d'ordre moral, esthétique ou intellectuel ; la valeur psychique correspond à la force déterminante du processus, qui se manifeste par des états définis ou "rendements psychiques".

Psychodynamisme indifférencié
 
Ce terme abscons définit la vie de l'âme selon Jung.
Comme la précédente définition de la libido l'évoque, Jung postule l'existence d'une énergie vitale psychique en mouvement ET, selon le premier principe de la thermodynamique de Mayer, en conservation de quantité.
Pour faire simple, la libido obéit à un flux constant et naturel, à l'instar de la circulation sanguine dans le corps,  définissant finalement "l'activité" d'une strate ou l'autre
de la psyché
La libido circule à la fois dans l'inconscient et la conscience mais, répondant au principe de conservation, ce qui est apporté à l'un est toujours déduit de l'autre...

La libido n'est pas seulement celle qui crée, forme et engendre ; c'est également une poussée vers un but que l'on pourrait résumer simplement par l'accroissement de la conscience humaine.
Le cours de la libido n'est pas linéaire; Jung a décelé que la dynamique psychoénergétique est "oscillatoire".

Les cycles régression/progression
"Si la libido reste fixée au royaume merveilleux du monde intérieur, alors l'homme est devenu une ombre pour le monde d'en haut, il est comme mort ou gravement malade. Mais si la libido réussit à se libérer et à remonter vers le monde d'en haut, alors se produit un miracle: le voyage aux enfers a été pour elle une fontaine de jouvence et de la mort apparente surgit une nouvelle fécondité".        Métamorphose... p487
Voici qui exprime clairement cette notion de cycle...
Prenons le cas d'école d'un individu à l'évolution psychique optimal. 
La libido s'investit dans la conscience qui va alors se distinguait des contenus de l'inconscient, et se faisant s’accroître en intégrant ce qui "n'était pas", c'est la phase de progression
Mais le processus "épuise" cette énergie et des symptômes de désunion de l'individu apparaissent.
En fait, la libido a changé d'orientation et plongé dans l'inconscient, donnant alors vie à ce qui "était dans l'ombre" (images, souvenirs, sentiments, sensations, etc.). L'émergence de ces "matériaux inconnus" exerce une influence grandissante sur la conscience, bien souvent en dépit de la résistance désespérée de l'intelligence claire. C'est la phase de régression, la fameuse descente en enfer mentionnée par Jung.

Pour résumer, le mouvement régressif puise dans l'énergie indifférenciée et fait gagner en force vive, diminuant la différenciation alors que le mouvement progressif augmente la capacité discriminative tout en faisant perdre de la force, de l'intensité au mouvement opérant.  
La conjonction du mouvement permet donc une différenciation grâce à la force extraite de l'indifférenciation.


La force du symbole

La naissance du symbole stoppe la régression de la libido dans l'inconscient.
La régression devient progression, le refoulement, flux. 
Ainsi est brisée la puissance attractive de la profondeur première.
Le salut se situe donc dans le symbole (voir à ce sujet ce billet) qui peut comprendre et unir en soi conscient et inconscient.
 
*Robert MAYER (1814-1878), médecin et physicien allemand, connut notamment pour sa formulation du premier principe de la thermodynamique.

Suite, voir Libido cycle progression/régression 

10 commentaires:

Ariaga a dit…

C'est clair, juste, tout ce que j'aime, et cela en dit déjà beaucoup. Amitiés.

Benoit Mouroux a dit…

Merci mon amie...

Anonyme a dit…

Bonjour Jean,

L'œuvre "très scientifique" de Jung est une montagne parfois difficile d'accès pour le néophyte et tu t'attaches ici généreusement à lui en faciliter l'abord.
Jung, savant psychologue, homme de grande culture qui se reconnaissait du type "pensée", avoue toutefois dans le prologue de/à "Ma vie" que le langage scientifique et la science ne sauraient exprimer au mieux le mystère de l'individuation, et il déclare lui préférer le mythe dont la force symbolique, comme tu l'as bien souligné dans ton article, est un lien privilégié pour tout être humain entre domaine conscient et domaine inconscient :
"Ma vie est l'histoire d'un inconscient qui a accompli sa réalisation.* Tout ce qui gît dans l'inconscient veut devenir événement et la personnalité, elle aussi, veut se déployer à partir de ses conditions inconscientes et se sentir vivre en tant que totalité. Pour décrire chez moi ce devenir tel qu'il a été, je ne puis me servir du langage scientifique; je ne puis m'expérimenter comme problème scientifique.
Ce que l'on est selon son intuition intérieure et ce que l'homme semble être sub specie aeternitatis, on ne peut l'exprimer qu'au moyen d'un mythe. Celui-ci est plus individuel et exprime la vie plus exactement que ne le fait la science. Cette dernière travaille avec des notions trop moyennes, trop générales, pour pouvoir donner une juste idée de la richesse multiple et subjective d'une vie individuelle.
J'ai donc entrepris aujourd'hui, dans ma quatre-vingt-troisième année, de raconter le mythe de ma vie. Mais je ne puis faire que des constatations immédiates, « raconter des histoires ». Sont-elles vraies? Là n'est pas le problème. La question est celle-ci : est-ce mon aventure, est-ce ma vérité ? " (Ma vie, Prologue)

Si l'on en croit ce qu'écrit Jung, le ferment premier du parcours vital, et finalement, de l'œuvre de Jung, ne serait-il pas également le symbole puisque les rêves sont avant tout symboles ? : "J'ignore ce qui a déterminé ma faculté de percevoir le flot de la vie. C'était peut-être l'inconscient lui-même. Peut-être étaient-ce mes rêves précoces. Ils ont dès le début déterminé mon cheminement." (Ma vie, chapitre Rétrospective)

Amicalement,

Amezeg


* N.B. Étienne Perrot a proposé la traduction suivante de cette phrase, plus fidèle au texte original allemand : " Ma vie est l'histoire d'une réalisation du Soi par l'inconscient."

Benoit Mouroux a dit…

Bonjour Amezeg,

Merci pour ce commentaire docte, riche et argumenté.

Je crois que l'oeuvre de Jung réside en effet dans sa personne...j'ai bien aimé mettre en exergue l'approche de la libido car elle cristallise beaucoup de spécificités "jungiennes".

Amicalement,
Jean

Anonyme a dit…

Tu dis vrai, Jean, cette perception de la libido comme énergie vitale globale est caractéristique de l'approche de Jung. Et ce n'est pas un point de détail ! C'est essentiel ! Merci de l'avoir souligné et d'avoir explicité clairement et simplement quelques termes de jargon a priori assez obscurs.

Amezeg

P.S. J'espère ne pas être docte... ;-) Les arguments viennent facilement, en quelque sorte fournis par Jung qui, finalement, fut alchimiste et "poète" au moins autant qu'il fut savant. On pourrait même dire, je crois, que le savant chez lui cachait l'alchimiste-poète comme l'arbre peut cacher la forêt. Il a tenu le langage d'un homme de science à une époque où, il le savait, seul ce langage trouvait audience. Pourquoi le Livre Rouge fut-il gardé si longtemps secret...?

Benoit Mouroux a dit…

Docte n'est pas inconciliable avec une sensibilité personnelle...

Oui, je sais que Perrot décrivait Jung comme un "Herr doctor" qui masquait son côté prophète.

Concernant le Livre Rouge, c'est tout un débat et je continue à me demander si son édition est une bonne idée...tout en admirant l'oeuvre chez moi.

Jean

La Licorne a dit…

Un "Herr Doktor" qui masquait son côté prophète...oui, c'est assez juste , je trouve...

Ne peut-on dire justement que le Livre Rouge ayant tout d'un livre de "révélation", sa publication aurait étalé aux yeux du monde ce côté "prophète" et que c'est cela que Jung craignait ....?

Benoit Mouroux a dit…

Bonjour La Licorne,

Oui curieusement, c'est une considération qui est venue récemment sur le forum, Jung comme vrai scientifique et faux prophète ou bien l'inverse ?

Je suis tout à fait d'accord avec toi, je ne crois pas que les ouvrages témoignant de son expérience directe avec le numen étaient écrits pour l'édition...mais en vieillissant, on sent pourtant qu'il commençait à se moquer des risques "sociaux" de ce type mais craignait de n'influencer trop certains sur le chemin.

Amitiés et joyeuses fêtes à venir,
Jean

Ariaga a dit…

Une phrase de Teilhard de Chardin que je trouve inspirante : "Quelque jour, nous capterons ... les énergies de l'amour. Et alors une deuxième fois dans l'histoire du Monde, l'Homme aura trouvé le feu." (tome II des oeuvres complètes) Amitiés.

Benoit Mouroux a dit…

Très inspirante chère Ariaga, et qui me donne envie de plonger dans ce tome...

Amitiés,
Jean