vendredi 19 août 2011

Le livre rouge - Extrait


"La voie de l’à-venir
Si je parle dans l’esprit de ce temps, il me faut dire : Rien ni personne ne peut justifier ce qu’il me faut vous annoncer. Me justifier est superflu, car je n’ai pas le choix, il le faut. J’ai appris qu’outre l’esprit de ce temps, un autre esprit est à l’œuvre, celui qui règne sur les profondeurs de tout ce qui fait partie du présent.L’esprit de ce temps veut entendre parler d’utilité et de valeur. Je le pensais moi aussi et ce qui est humain en moi le pense encore. Mais cet autre esprit m’oblige néanmoins à parler, par-delà toute justification, toute utilité et tout sens.Empli de fierté humaine et aveuglé par l’esprit présomptueux de ce temps, j’ai longtemps cherché à tenir cet autre esprit à distance. Mais je n’ai pas pris en compte que l’esprit des profondeurs fut de tout temps et sera pour tous les temps plus puissant que l’esprit de ce temps qui change au fil des générations.
L’esprit des profondeurs a soumis toute la fierté et tout l’orgueil du discernement. Il m’a ôté la foi en la science, il m’a privé de la joie d’expliquer et de classifier, et il a fait s’éteindre en moi l’enthousiasme pour les idéaux de ce temps. Il m’a contraint à descendre vers les choses ultimes et les plus simples. 
L’esprit des profondeurs s’est emparé de mon entendement et de toutes mes connaissances, et les a mis au service de ce qui est inexplicable et qui va à l’encontre du sens. Il m’a privé de la parole et de l’écriture pour tout ce qui n’était pas au service de cette seule chose, cette fusion du sens et du contre-sens qui produit le sur-sens.

Mais le sur-sens est la voie, le chemin et le pont vers l’à-venir.
C’est le Dieu à venir. Ce n’est pas le Dieu à venir lui-même, mais son image, qui apparaît dans le sur-sens. Dieu est une image et ceux qui l’adorent doivent l’adorer dans l’image du sur-sens. Le sur-sens n’est pas sens, pas plus qu’il n’est contre-sens, il est à la fois image et force, magnificence et force réunies.
Le sur-sens est commencement et but. Il est le pont du passage et de l’accomplissement. Les autres dieux sont morts de leur temporalité, mais le sur-sens ne meurt pas, il se transforme en sens puis en contre-sens, et du feu et du sang de la collision des deux s’élève à nouveau, rajeuni, le sur-sens.
L’image de Dieu a une ombre. Le sur-sens est réel et projette une ombre. Car qu’est-ce qui pourrait être réel et physique sans posséder une ombre ? L’ombre est le non-sens. Elle est sans force et n’existe pas par elle-même. Mais le non sens est le frère inséparable et immortel du sur-sens. Les humains grandissent comme les plantes, les uns à la lumière, les autres à l’ombre. Nombreux sont ceux qui ont besoin de l’ombre et pas de la lumière.L’image de Dieu projette une ombre qui est aussi grande qu’elle-même. Le sur-sens est grand et petit, il est aussi étendu que l’espace du ciel étoilé et aussi étroit que la cellule du corps vivant."

Le Livre Rouge

28 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour cette publication qui tombe à pic. Une synchronicité serrée ! Regagnant "ma tanière" après une sortie "dans le monde", le sujet de ma réflexion ou méditation, quelques minutes avant de découvrir ce nouveau billet était justement celui-là. Le développement que lui donne Jung dans cet écrit intime vient pour moi éclairer un peu plus le sens d'un rêve ancien dont le souvenir ne s'est pas estompé, rêve auquel je songeais précisément peu avant la lecture du billet.

Amezeg

Ariaga a dit…

Cela demande un peu de temps de réflexion, je vais revenir. Amitiés.

Ariaga a dit…

Je crois, en effet, que même si l'esprit des profondeurs est parfois difficile à entendre, et si nous cherchons à couvrir son bruit en celui du monde de la surface, nous ne pouvons y échapper.

nicole a dit…

merci Jean de ce texte en français,
il correspond à ce stade -ci de ma vie où bien des choses ont moins d'importance; les valeurs du temps présent s'estompent peut-être pour faire place éventuellement à quelque chose de plus intemporel...

je ne peux m'empêcher de faire des liens entre les propos de jung et les textes bibliques...

amicalement nicole

Benoit Mouroux a dit…

Ariaga,

Oui, il est des espaces silencieux qui peuvent devenir très bruyants...en te lisant, me revient ces mots de Jung qui expliquent notre inégalité face à l'esprit des profondeurs : certains devront collaborer de gré ou de force très étroitement avec lui et d'autres n'en apercevront que l'ombre sans autre besoin.

Nicole,

Je comprends ce que tu exprimes avec les textes bibliques, qui sont finalement une mémoire de l'humanité...je crois que ce qui touches du doigt Dieu, le Soi, etc conservent une tonalité similaire pour celui qui sait le recevoir.


Amitiés,
Jean

Ariaga a dit…

Oui, comme le disait Jung, il s'agit de cloisons plus ou moins épaisses qui nous séparent de l'inconscient et empêchent qu'il nous submerge ...amitiés.

Anonyme a dit…

Nous avons sans doute le choix entre : être véritablement vivant ou être simplement existant. Celui qui choisit d'être véritablement vivant n'a plus le choix d'exprimer ou non l'esprit des profondeurs. Il doit le faire car être véritablement vivant c'est précisément cela : donner passage à l'esprit des profondeurs à travers soi, lui donner de s'exprimer d'une façon ou d'une autre dans notre quotidien, réduisant à proportion de ce passage l'influence ou l'importance de l'esprit du temps. Il faut pour cela, comme le dit Jung, " descendre vers les choses ultimes et les plus simples."
Cela rappelle, en effet, la parole biblique : " Je vous le déclare, c'est la vérité : si vous ne changez pas pour devenir comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux." Accumuler les savoirs savants et la maîtrise qu'ils sous-tendent s'oppose à la découverte du non-savoir savoureux et de la docilité à la voix de l'éternel en nous.

Ton billet fort bienvenu, Jean, apporte sa contribution au voix de plus en plus nombreuses, mais encore trop rares, qui demandent que l'esprit des profondeurs soit entendu et vienne au secours d'un monde que l'esprit du temps menace de destruction imminente.

L a sagesse du Yi King ne dit pas autre chose :
Yi / L'Augmentation
En haut Sun : Le Doux, le Vent.
En bas Tchen : L'Eveilleur, le Tonnerre.
L'idée de l'augmentation s'exprime par le fait que le trait inférieur fort du trigramme supérieur est descendu et s'est placé au bas du trigramme inférieur. L'idée fondamentale du Livre des Transformations s'exprime également dans cette conception : régner véritablement, c'est servir. Un sacrifice de l'être supérieur qui réalise une augmentation de l'être inférieur est appelé augmentation pure et simple, pour indiquer l'esprit qui, seul, est en mesure d'aider le monde.
http://wengu.tartarie.com/wg/wengu.php?lang=fr&no=42&l=Yijing

Amezeg

Benoit Mouroux a dit…

Passionnante contribution Amezeg....comme d'habitude. Il faut vraiment que je prenne le temps d'étudier ce Yi king et comme tu le soulignes, sa sagesse.

Cependant, ce n'est pas ce quje voulais exprimer dans ma dernière intervention sur l'inégalité des hommes dans leur dialogue avec l'inconscient.
Jung, pour schématiser un peu, pose le constat que tous ces patients ne sont pas appelés au même degré de "guérison"....phénomène que l'on peut transposer en dehors des cas cliniques pour chacun d'entre nous. Il existe comme un destin qui est en fait l'appel de sa nature singulière et on ne peut pousser, sans risque, quelqu'un à une conscience plus large que nécessite cet appel. Pour autant l'aboutissement de ce dialogue est pour tous, la découverte du sens profond, ou encore "religieux" de la vie.
M%ais la nature de certains amène à plonger dans les abîmes profond, et celles des autres plus en surface...je ne veux pas être trop long mais on se rapproche de cette notion de grâce que Jung emploie par analogie assez souvent.

Amitiés,
Jung

Anonyme a dit…

Merci pour ton appréciation très positive Jean.

À vrai dire, je me référais directement au texte de Jung si opportunément tombé ici sous mes yeux il y a quelques jours. Ce qui m'a le plus interpellé dans ce texte* était cette nécessité, pour ne pas dire cette contrainte que ressentait Jung à laisser s'exprimer l'esprit des profondeurs : "L’esprit des profondeurs s’est emparé de mon entendement et de toutes mes connaissances, et les a mis au service de ce qui est inexplicable et qui va à l’encontre du sens. Il m’a privé de la parole et de l’écriture pour tout ce qui n’était pas au service de cette seule chose, cette fusion du sens et du contre-sens qui produit le sur-sens."
* Question de disposition actuelle des étoiles dans mon ciel en ce moment...

Lorsque tu dis : " Il existe comme un destin qui est en fait l'appel de sa nature singulière et on ne peut pousser, sans risque, quelqu'un à une conscience plus large que nécessite cet appel.", je souscris des deux mains à ce point de vue.

Amicalement
Amezeg

Ariaga a dit…

Il y a vraiment de beaux "dialogues" qui s'installent ici ...

Anonyme a dit…

Cher Jean

Je ne pense pas que l'esprit des profondeurs doive être submergeant. C'est bien même si c'est douloureux d'aller au fond. Je pense que nous descendons dans les profondeurs de l'inconscient seulement si l'on est capable d'en revenir. Je pense aussi qu'il ne faut pas rester dans ces profondeurs et laisser de côté le monde de la surface. C'est pour vivre dans celui-là que nous sommes faits. C'est vrai le monde des profondeurs est plus riche et que c'est là que nous semblent les vraies valeurs. Mais je trouve que c'est une erreur de se détourner de la vie concrète et de laisser de côté par ex les sciences. Je me sens exaltée quand j'entends qu'il existe une particule récemment trouvée qui va plus vite que la lumière. C'est quand même extraordinaire.

Cile

Benoit Mouroux a dit…

Bonjour Cile,

Je pense que nous descendons dans les profondeurs de l'inconscient seulement si l'on est capable d'en revenir.

Qui peut le savoir à l'avance ?
Mais je vous rejoins sur le fait que chacun doit répondre à sa nature et ne jamais aller plus profond que ce qui lui est nécessaire.

C'est pour vivre dans celui-là que nous sommes faits.

Etes vous si sure ?

C'est vrai le monde des profondeurs est plus riche et que c'est là que nous semblent les vraies valeurs.

On ne parle des mêmes valeurs. L'amour, l'amitié, l'altruisme, l'empathie sont des valeurs essentielles mais subjectives par nature.
Les valeurs évoquées dans la psyché sont objectives et donc "authentiques".
Aucun hiérarchie qualitative ne peut être établie entre les deux.

Mais je trouve que c'est une erreur de se détourner de la vie concrète et de laisser de côté par ex les sciences. Je me sens exaltée quand j'entends qu'il existe une particule récemment trouvée qui va plus vite que la lumière.

Je n'ai jamais que clamer cela. Dans mon dernier billet, il est évoqué les trois piliers de l'individuation dont l'un est de toujours rester bien ancrer dans ce monde-ci.
Moi aussi, la découverte de ces neutrinos me fascinent.

Jean

Anonyme a dit…

Cher Jean

Pour illustrer ma pensée, je cite les paroles de Michel Corboz (j'espère n'avoir pas écorché son nom). Il a dit dans une émission radiophonique il y a déjà plusieurs années, qu'il faut être à la fois "hautement spirituel et merveilleusement terrestre". A mon sens rien n'est mieux résumé. Je voulais dire en fait que bien que nous soyons des êtres de pensée nous ne devons pas ignorer notre côté animal. A la base, nous sommes des animaux faits pour se reproduire et pour vivre sur terre. Et nous sommes faits pour cela, mais notre peur viscérale de la mort, nous fait nous détourner de cette vie concrète puisqu'elle nous mène justement à ce que nous redoutons le plus.

Est-ce Jung qui a dit que tout ce que nous faisons ce à quoi nous nous occupons tend à nous détourner de l'inconscient. Je pense que c'est juste, mais nous devons rester en vie et donc nous occuper de notre esprit et aussi de la vie terrestre. Quand nous sommes absorbés dans quelque chose, c'est là je pense que nous sommes le plus vivant et ce n'est pas toujours de grandes choses qui nous occupent c'est parfois de toutes petites c'est peut-être ce qu'il veut dire en parlant de "l'extrême simplicité".

Cile

Benoit Mouroux a dit…

Je vous rejoins sur l'ensemble des points évoqués.

Jean

Anonyme a dit…

«.......Il a dit dans une émission radiophonique il y a déjà plusieurs années, qu'il faut être à la fois "hautement spirituel et merveilleusement terrestre". »( Cille)

Bonjour Cille,

En vous lisant, le passage ci-dessous tiré de « C.G.Jung et la voie des profondeurs » m’est aussitôt revenu en mémoire. Jung semble bien avoir souhaité laisser à la postérité un témoignage de l’intérêt qu’il portait à l’homme terrestre comme à l’homme céleste, sans oublier l’ensemble de la nature créée, avec un égard particulier à l’intention oiseaux qui relient en quelque sorte le ciel à la terre... :

« La tombe familiale des Jung se trouve au cimetière de
Kùsnacht. Nous allâmes la visiter. Une grande pierre ronde est
posée sur le sol, avec au centre une cavité qui recueille l'eau de
pluie*. Auprès, une autre pierre se dresse verticalement, gravée
aux armes de la famille. La base de cette pierre est carrée et
chaque côté porte une inscription latine:............................
(suit la traduction en français)
« Le premier homme est de la terre, terrestre ; le second homme, du ciel, céleste ». C'est, je crois, une citation de St Paul**. L'autre partie de l'inscription est celle du linteau de la porte de Jung : « Invoqué et non invoqué, le dieu sera présent. »

* Ce bassin avait été demandé par Jung pour que les oiseaux puissent S'y baigner et y boire. (N.d.T.)
** 1re épitre aux Corinthiens, XV , 47 »

« C.G.Jung et la voie des profondeurs » chapitre : Miguel Serrano - Rencontres avec Jung - Éditions La Fontaine de Pierre

Amezeg

Anonyme a dit…

Cher Carl

J'aime beaucoup l'idée d'une fontaine pour les oiseaux. Ils aiment s'y baigner et j'aime les voir faire.

Merci pour ce texte, il est réconciliant

Cile

Anonyme a dit…

P.S. « l’intention oiseaux », comme j’ai noté à mon insu, est une formule qui me plait beaucoup...mais on peut lire aussi « à l’intention DES oiseaux qui relient en quelque sorte le ciel à la terre... », ce qui est plus conforme à « mon » intention de départ... :-)

Amezeg

Benoit Mouroux a dit…

Très jolie référence, merci Amezeg.

Anonyme a dit…

Ah non mais moi je ne sais pas du tout ce que sont ces vraies valeurs il faudrait étayer

yes

Aston

Benoit Mouroux a dit…

Je ne les connais pas non plus...

Ce que je mentionnais là se situe dans la nature réelle sujet et objet.

Jean

Anonyme a dit…

Jean
la synchronicité, c'est une chose qui nous dépasse le plus souvent parce que nous ne pouvons pas l'expliquer et c'est très bien comme ça. Ce matin, je me suis levée et la première chose que je fais en me levant c'est d'allumer la radio, j'ai alors entendu cet air merveilleux de Schubert Schwanengesung. La musique de Schubert fait partie de moi au même titre que ma peau ou mon sang.

Psyché

Benoit Mouroux a dit…

Bonsoir Psyché,

En effet, "ça nous dépasse et contient"...j'ai un très gros projet autour de la synchronicité pour ce blog, c'est amusant que tu en parles.

Jean

Anonyme a dit…

Jean

Comment expliquer ? Je suis en ville et j'attends avec d'autres gens l'ascenseur et en même temps je me demande plus ou moins consciemment finalement ce que sont les individus qui nous entourent pour nous et alors, la personne devant moi porte un grand carton sur lequel il est écrit : ensemble pour soigner. S'agit-il d'une relation d'inconscient à inconscient ou d'inconscient collectif ?

Psyché

Benoit Mouroux a dit…

Bonjour Psyché,

Remarquable anecdote que nous livre..c'est un exemple de synchronicité. Je ferai sous peu un billet là dessus.
Est il nécessaire de décrypter le mécanisme ? il me semble que ce type d'expérience se doit surtout d'être pleinement vécu.

Amicalement,
Jean

Anonyme a dit…

j'en ai plein des comme ça, dans le métro ce jeune homme vient s'asseoir en face de moi et sort le bottin des neurosciences, bon voilà… soit on pense à autre chose soit on se triture la tête, le mieux c'est peut-être de rester bête ou de ne rien voir ce qui revient au même.

Bonne soirée Jean
Psyché

Benoit Mouroux a dit…

Ou d'accepter de vivre le moment sans chercher à le capter...

Bonne soirée,
Jean

Anonyme a dit…

C'est juste… ne pas chercher à capter, la frontière est mince entre penser qu'il s'agit d'une synchronicité et se sentir concerné par ce qui n'est pas "concernant", se sentir concerné est aussi un peu déviant, ne parle-t-on pas de symptômes de concernement ?

Psyché

Benoit Mouroux a dit…

Par capter, j'entendais le tenir prisonnier pour le disséquer...les synchronicités doivent être considérer puisqu'elles sont le signe extérieur d'un lien important intérieur. On doit justement le considérer, saisir le sens qui en fait sa nature et relâcher le reste.
C'est ma vision.

Jean