samedi 19 février 2011

L'ego face au divin



Je viens d'achever cet ouvrage, très récemment édité par Slatkine (http://www.slatkine.com/).
Il est proposé une étude approfondie sur le Moi (l'égo, voir ici) et sur l'incidence d'expériences qualifiées de mystique sur cette instance psychique.
Autant le dire tout de suite, c'est un ouvrage très dense, qu'il faut prendre le temps de lire dans le calme, la disponibilité intellectuelle étant indispensable pour suivre l'auteur...bref, ce n'est pas un livre facile mais je l'ai trouvé éminemment passionnant, en particulier la partie sur le Moi, nous allons y revenir.
Qui est Pierre Willequet, l'auteur ?


C'est avant tout un psychologue et psychanalyste d'une cinquantaine d'année, formé en Suisse (notamment au fameux institut Carl Jung à Zûrich). Pratiquant en cabinet privé, il exerce également dans une institution à orientation psychanalytique s'occupant de jeunes enfants. Sa passion principale s'orient autour des arts martiaux et il portera même le Kinomichi (issu de l'Aïkido, voir ici) en Suisse pour la première fois. Fait important pour qui connait ce personnage, il fut un très proche de Karlfried Graf Dürckheim.

Sommaire de l'ouvrage
Partie I (pages 1 à 136)
Chapitre 1 : Comment aborder la question
Chapitre 2 : Le Moi - définition, formation et caractéristiques
Chapitre 3 :Conditions d'apparition du moi et leurs conséquences
Chapitre 4 : Le mythe - le bien, le mal
Chapitre 5 : Entre-deux sous forme de Koan occidental
Partie II (pages 137 à 219)
Chapitre 6 : Le Tout-autre comme éprouvé
Chapitre 7 : Récits d'expériences
Chapitre 8 : Questions posées par ce type d'expériences
Epilogue

Avis, impressions
Avant tout, on notera que la partie traitant du Moi est de loin la plus conséquente et j'avoue une petite déception que celle traitant de l'expérience mystique en elle-même soit finalement très courte (une cinquantaine de pages)...néanmoins, il apparaît rapidement l'importance de cerner si précisément le complexe moïque (comme l'appelle l'auteur) pour clairement appréhender tout ce qu'une expérience si singulière peut entraîner comme conséquences.
J'ai trouvé le style un peu lourd et ampoulé également, ce qui ralentit considérablement la lecture...mais c'est un avis très subjectif. Il n'empêche, les idées gagneraient probablement en clarté à être exprimées plus directement et dans un vocabulaire plus accessible. 
L'érudition de l'auteur est flagrante et j'ai apprécié ses références bibliographiques précises et son argumentaire rigoureux quand il défend une idée, disons, peu orthodoxe (je pense notamment à ses approches sur la vision freudienne ou encore à sa critique pointue sur des ouvrages d'Onfray).
J'avoue avoir découvert le Moi sous un aspect plus complet, une vue nettement moins impartiale que celle que l'on rencontre habituellement (beurk, l'égo, quel sale truc) et l'auteur soulève des thèmes d'une profondeur passionnante (relation mère-enfant, le mythe dans nos vies, etc).
J'ai été profondément touché par les témoignages d'expériences "mystiques". Dans tous les cas, ils proviennent de personne "quelconque", que l'on pourrait rencontrer à chaque coin de rue (une assistance sociale de 54 ans, un éducateur de 40 ans, une jeune travailleuse sociale de 32 ans, une journaliste de 52 ans, etc) et ça donne une proximité toute particulière et vibrante. Les récits sont intelligemment retranscrits avec les hésitations, les pauses, les balbutiements, et l'émotion est absolument palpable...on la partage dans une certaine mesure.
En bref, un ouvrage qui a ses défauts mais qui aborde des thèmes, sous un angle neuf et contemporain, rarement traités...à découvrir donc !

Quelques extraits (je conserve les passages clefs à la lecture)
Pour ce qui nous concerne, on a vu que rien ne peut être énoncé sur le moi - comme concept - sans le recours à un autre moi, celui du théoricien ou du chercheur. On ne peut donc le cerner qu'à partir de « lui-même », ou d'un analogue à lui-même, situation extrêmement embarrassante qui, depuis ses premiers balbutiements, a condamné la mouvance « psy » à s'enliser dans un bourbier indescriptible de conflits d'écoles et d'options théoriques divergentes, qui font d'elle une vaste auberge espagnole dans laquelle, forcément, « chacun voit midi à sa porte ». L'adage se révèle étonnamment percutant lorsqu'il s'applique aux multiples orientations psychanalytiques, et cela en dépit des indéniables éclairages qu'elles ont proposé depuis leurs origines.
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Le moi est fait, primo pour survivre (tenir le choc de la rencontre initiale de ce qui est) et, secundo, pour vivre (se maintenir le plus longtemps possible).
Pour cela, il doit apprendre à prendre.
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Il existe, fortement ancré dans certaines sphères de la tradition intellectuelle occidentale (française en particulier), un rejet épidermique de tout ce qui n'est pas cernable rationnellement ou qui s'approche, de près ou de loin, d'une éventuelle « transcendance », toujours suspecte, aux yeux normatifs de ceux qui en ignorent tout, d'une possible affiliation à quelque conservatisme bigot ne représentant, soulignons-le une fois encore, qu'une portion tout à fait congrue de la chose.
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La constitution ou l'accès au « Je » comme position tierce, me semble alors un des buts du travail analytique conduit en toute rigueur, dans cette possibilité d'un abandon continuel des croyances et idéaux moïques, qui s'écarterait d'une sorte d'idéologie violente de sa négation ou de son mépris, au profit d'un regard bienveillant et amusé, mais certainement pas dupe.

4 commentaires:

Françoise MAZZONI a dit…

Bonjour Jean
je prends gout à rendre une petite visite à votre blog, aimant cheminer parmi mes lectures etmes rencotes junguiennes;
Il se trouve que je viens de rencontrer Pierre Willequet lors du colloque sur l'enfant organisé fin janvier à Paris par le Groupe d'Etudes CG Jung: Ce fut une vraie rencontre entre Pierre et les participants; Nous avons decouvert un homme erudit mais aussi passionné par son travail dans cette institution "maison verte" à Genève, doté d'un grand sens de l'humour et trés simple et chaleureux.
je ne connaissais pas le livre dont vous nous parler si bien mais je lis son livre "le rêve , sa creativité, ses bizarreries" conjointemnt avec le livre de Tobie Nathan "La Nouvelle interpretation des rêves "...

Benoit Mouroux a dit…

Bonjour Gaïa,
J'avoue que je ne connaissais pas l'auteur avant d'aborder ce livre mais j'avoue que j'aurais beaucoup apprécié l'entendre à cette conférence. Les allusions, égrenées dans le livre, sur son travail dans cette institution laissent apparaître sa sagesse : percevoir, aider, jamais forcer.
je me suis procuré son livre que vous mentionnez.
Merci de votre partage
Jean

CPatricia a dit…

Je partage le même sentiment face aux écrits de P VILLEQUET , bien que je n'ai lu que "Mère, fille. histoire d'une emprise".
Merci pour votre compte-rendu

Anonyme a dit…

J'ai pas trop aimé "mère fille histoire d'une emprise" quant à Tobie Nathan je vois à peu près, un livre avec des dialogues, ils s'intéresse aux diverses ethnies non ? un truc comme ça, pas trop aimé non plus (ça me barbe) à plus ! cher Jean

Aston