Quoi de plus anodin, de plus anecdotique ? Après tout, cette "petite chose colorée" ne présentait plus aucun intérêt depuis longtemps. Nous ne le nourrissions que par mécanisme, souvent avec un léger agacement pour cette perte de temps inutile.
Mais alors depuis sa disparition, pourquoi ce désagrément ? Pourquoi cet inconfort ?
Il me semble que ce type d'évènement, aussi insignifiant qu'il semble être, nous met face à un constat déplaisant : nous vivons endormis !
Qui n'a jamais reçu ces emails "polluants", où il est question de l'importance de montrer qu'on aime aux gens qu'on aime, de profiter de l'instant présent pour ce qu'il est, que la clef du bonheur réside dans le ici et maintenant ? Je mets au défi quiconque de déclarer, avec sincérité, que "quelque chose en eux" n'a pas été touché, au moins de manière fugace.
Certes, les proses de ces "spams" sont tissés pour provoquer larmoiement et émotion facile mais peu importe, si cela fonctionne, c'est qu'ils font écho à quelque chose en nous...quelque chose d'éteint, en sommeil ou camoufler par le tourbillon de la vie.
Nous vivons pour la plupart vite, très vite, trop vite.
J'aimerais éviter de tomber dans des lieux communs mais ils sont bien souvent emplis d'une vérité...vérité tellement évidente et claire qu'on ne la voit plus. Au risque de jouer de la philosophie de comptoir, il me semble que dans cette cyber-époque où tout est accessible tout de suite, nous ne parcourons plus le paysage, nous ne faisons que le franchir. Les informations utiles ou inutiles s'enchaînent sur nos écrans, les photos prises par nos téléphones s'accumulent par milliers sans jamais être regardées, etc.
L'aptitude naturelle qui consistait à considérer chaque évènement de notre quotidien dans l'instant, de lui accorder l'attention et l'intention, a pratiquement disparu.
Sclérosé dans nos frustrations passées, angoissé par un futur toujours incertain, quelle est la place réservée au présent dans nos vies ?
" Hic Rhodus, hic salta ", C'est ici Rhodes, c'est ici que tu dois danser !" : Jung aimait répéter cette phrase. Oui, c'est ici et maintenant que nous devons vivre, oui une partie de nous ne doit pas craindre de s'engager dans le tourbillon du quotidien, mais il importe également de trouver en soi ce témoin intérieur suffisamment distancié pour ne pas s'identifier aux mouvements du moi. Là est le centre, là est le point fixe, c'est là que s'enracine le Je !
Alors, me direz vous, que reste t'il à faire ?
Peut-être réapprendre à apprécier le temps qu'il faut pour regarder le poisson rouge.