"J'ai mis longtemps à comprendre que l'homme né deux fois, la première fois de la mère, la seconde de la femme, s'affronte entre ces deux naissances à ce semblant d'énigme qu'est la féminité hors de lui, alors que le seul mystère est la féminité en lui, la seule alchimie..." Abellio, La fosse de Babel
L'homme
De son vrai nom Georges Soulès (1907-1986),
Abellio fut très impliqué en politique entre les deux guerres, mais la postérité le retient comme un philosophe gnostique, ou un gnostique philosophe, voire un philosophe de la gnose...qu'importe les adjectifs, ce fut avant tout un cherchant, un conquérant de l'âme humaine.
Mort il y a plus de 30 ans, il laisse derrière lui une bibliographie consistante et variée ( n'hésitant pas à distiller sa pensée gnostique à travers des romans).
Peu connu du grand public, il fait partie de ces hommes, contemporains de Jung, qui suivent le même sillon, portent une énergie similaire et construisent, en cheminant, leur propre sagesse , inspirante pour les générations qui suivent...une autre source où s'abreuver.
La pensée
Qu'il est difficile de résumer une vie si riche parsemée d'écritures en tous genres (articles politiques, pamphlets, romans, essais philosophiques, manifeste, etc.). La citation en tête du billet expose l'un des pans de sa pensée, un rapport engagé et ouvert à la féminité.
En fait, Abellio, amateur de phénoménologie (philosophie de l'expérience vécue), a rapidement fait le constat des antagonismes apparents au sein de l'homme, des couples de complémentaires présents dans tous les champs de l'être (anthropologique, social, ontologique, éthique, esthétique, ...).
Durant 30 ans, il n'aura de cesse de comprendre comment concilier et unifier ces facettes. Notons au passage que ce thème des dualités à résoudre, inhérentes à la nature humaine est commun à Jung.
L'aboutissement de ses recherches, apogée de ce que l'on nomme "gnose abéllienne" est l'invention (découverte ?) de la structure absolue.
"...la structure absolue ne se donne pas comme une recette ou une méthode d'organisation ou de classification entre d'autres, mais comme un pouvoir universel engageant un mode entièrement nouveau de connaissance, c'est à dire de communication avec le monde, et par conséquent aussi un mode entièrement nouveau d'existence." Eric Coulon, Interview
La structure absolue
ou la « dialectique de la double contradiction croisée »
Tentons la simplicité, au risque de la simplification; chaque champ de l'être répond à quatre pôles réparties en deux paires d'opposition qui se croisent selon deux axes...cette structure hélicoïdale marque l'assomption des essences vers le haut et leur incarnation vers le bas.
La structure absolue n'est pas une théorie mais une pratique, une voie ("vois") d'autoréalisation (qu'il nomme "réveil de l'homme intérieur") qui réunit à la fois "l'outil" philosophique occidental et la pensée dite traditionnelle.
Abellio pose le principe métaphysique d'une interdépendance universelle, non pas comme d'un vague holisme, mais comme une théorie de la connaissance dans laquelle sujet et objet ne sont pas deux entités isolables.
Si les thèmes de la "dualité matrice de vie", d'une nouvelle gnose contemporaine à construire, réunissent Abellio et Jung, notre philosophe considèrera que l'approche purement psychologique de l'alchimie est une erreur au regard de l'opérativité réelle de cette dernière...mais comme les théologiens qui lui reprochaient de parler au nom de Dieu, probablement n'a t'il pas saisi que Jung ne spécule pas sur l'objet mais formalise les processus dynamiques engendrés par l'objet.
Quoi qu'il en soit, la voie de réalisation proposée par Abellio est d'une indéniable richesse, et d'une grande exigence, mais quel est la valeur de ce qui ne coûte rien ?